Ca samedi 8 Décembre et ce malgré une
longue semaine de mises en garde médiatiques et amicales quant à la
mauvaise tournure qu'une nouvelle manifestation pourrait prendre, je
suis donc décidé à refaire le voyage vers la capitale afin de voir
de mes yeux vivre le quatrième « acte » du mouvement des
Gilets Jaunes.
Je pense qu'il faut le souligner, tout
ce qui a été dit par les « représentants » du peuple
et leurs laquais cathodiques durant les jours passés a créé le
cadre de cette manifestation et posé une base intéressante :
il ne faut pas venir à Paris si vous êtes un manifestant pacifiste
car cet événement sera dangereux. Que fallait-il entendre ?
Que les casseurs seraient extrêmement nombreux du fait d'une
extrémisation rapide et inévitable du mouvement « agrégeant »
des « ultras » de tous bords ? Sans doute était-ce
le message gouvernemental, on peine à penser qu'ils auraient lâché
ce genre d'avertissements en voulant signifier que les forces de
l'ordre allaient mettre le paquet pour choquer des gens et « venger »
les vitrines et autos sauvagement agressées quelques jours plus tôt.
Donc il fallait selon les critères
officiels comprendre qu'aller à Paris ce samedi signifiait prendre
un risque car il y aurait des tonnes de violents extrémistes sans
intelligences politiques et que ces gens là voudraient défoncer des
crânes pour le fun, qu'il s'agisse de crânes jaunes ou de crânes
casqués. Petit souci d'hypocrisie étatique, dans le même temps et
puisqu'on ne pouvait pas admettre que la police serait utilisée
comme une force effrayante et dissuasive il fallait tout de même
dire qu'en France la liberté de manifester est un droit fondamental.
Que donc les CRS sont là pour « protéger » les
manifestants pacifistes bref, je m'arrête là pour le contexte
politique, vous avez du en bouffer vous aussi pendant des jours.
Comme la semaine dernière, je me rends
Gare de Creil afin de prendre un train en milieu de matinée et
arriver sur Paris aux alentours de 11h. En gare, pas un gilet jaune
aux alentours et contrairement à la semaine passée c'est un enjeu
latent : les gens vont-ils donc oser se pointer au cœur d'un
événement que les pouvoirs ont voulu assimiler dès en amont à une
« bataille» qui sera dangereuse ? (La faute à qui on
sait pas du coup hein, mais ce sera dangereux cassez-vous les
manifestants).
Arrivé en Gare du Nord, ça fouille
dès la descente du train. Il faut ouvrir son sac, vider ses poches,
montrer papate blanche. Et je pense que l'expression est toute
trouvée étant donné qu'avec ma tronche de blanc bec à bonnet-bouc
habillé comme un étudiant en com' option konbini, je ne présentais
pas un « profil » me désignant pour la fouille. J'ai
esquivé le truc en douceur même si j'ai cherché tous les agents de
« sureté » du regard afin de les motiver à m'adresser
la parole. Nan j'avais l'air de venir d'on ne sait quelle campagne
déguisé en parisien afin de trouver un avenir là où tout se joue.
Les gens un peu plus larges du treillis en pompes de skateurs et sweats à
capuche « profil j'écoute de la tekno en forêt », bon
ben eux de base ils allaient se faire contrôler dix fois dans la
journée. Les racisés en streetwear je vous en parle même pas. En
gros, si t'avais l'air d'une personne « communément »
perçue comme intégrée au système, t'étais sans doute pas
considéré comme quelqu'un qui se rendait à Paris pour y foutre la
merde et même pas pour y manifester. Donc tu passais le contrôle en gare fingers in the nose.
Premier pas hors de la Gare, un homme
chargé de prospectus s'adresse aux passants afin d'obtenir
d'eux une petite minute d'attention. Je suis venu en curieux je vais
le voir : Salut. « Salut, tu as deux minutes ? ».
Ben oui l'ami je te dis bonjour pour que le reste suive. « Je
peux te donner ce document, il résume les témoignages de membres de
notre église, face aux problèmes actuels, il n'y a qu'une réponse
et tu le sais peut-être déjà, c'est Jésus. ». J'aime bien
ces recueils que j'estime bourrés de mensonges mais souvent bien
maquettés alors j'ouvre mon sac pour le prendre et le démarcheur
aperçoit mon gilet jaune. « Je vois que tu as un gilet jaune,
tu viens manifester ? ». Effectivement et puis prendre des
photos, tâter le terrain etc. « Les Gilets Jaunes c'est encore
un autre symbole du fait que nous vivons dans un monde qui ne va pas
bien. Les gens disent que c'est la faute de Dieu, si Dieu existait il
stopperait la guerre ou la famine etc. Mais non mon ami, c'est
l'Homme qui fait tout ça, et l'Homme rejette ses pêchés sur Dieu
alors que Dieu les pardonne mais leur envoie un message. » Heu,
ok. « Lis les témoignages tu verras ces gens ont réussi à
s'en sortir grâce à la lumière divine ». Mais tu me parles
d'une perception, d'une façon de se sentir là non ? « Non
non, lis-le tu verras, je parle d'argent, de situation, maintenant
ces gens sont riches ». Ah ouais. (L'essence de la foi quoi).
Ben écoute je vais lire ça avec attention. Je tente de lui tendre
la main pour qu'on se la serre mais il semble effrayé (?), j'aurais
voulu le remercier pour l'échange tout simplement, mais il me donne
un « Très bonne journée et fais attention à toi à la
manif » qui me satisfait tout autant.
(Il s'agissait de "Centredaccueil.fr" et sa revue gratuite "Le Semeur" tirée à 380.000 exemplaires)
(Il s'agissait de "Centredaccueil.fr" et sa revue gratuite "Le Semeur" tirée à 380.000 exemplaires)
Je reprends ma longue marche jusqu'aux
champs. Je ne connais pas bien Paris et je me retrouve Rue de la
Victoire et je remarque un grand bâtiment, imposant, un ouvrage
d'art, mais peu de sculptures ou d'imagerie dessus. Je vois de
l'hébreu « Ah, ça doit être une synagogue ». Curieux
comme jaja et friand d'art je me pose droit comme un piquet devant,
j'aperçois derrière les grilles des militaires en faction dont
certains contrôlant une personne qui désire entrer. Je me dis que
je vais rester dehors et à distance. Mais rester dehors et à
distance en scrutant l'édifice attire un policier en civil posé
contre un mur non loin. « Bonjour. Vous cherchez quelque
chose ? » I'm'dit. Non j'ai juste été surpris par ce
bâtiment que je ne connais pas alors j'admire par curiosité. « Vous
savez ce que c'est ? ». Oh ben oui une synagogue je pense
non ? « C'est la plus grande synagogue d'Europe ».
Ah carrément ? Ah ok. «Vous vous intéressez à la religion
juive ? » Non je suis ancien étudiant en art et j'adore
regarder le détail de ces bâtiments mais je suis surpris, ne
connaissant pas bien les règles liées à la figuration etc je
trouve le bâtiment très beau mais néanmoins pauvre en sculptures
même juste ornementales etc. Je continue à fixer le haut du
bâtiment et il me dit « Vous venez manifester non ? ».
Je dis oui. Il me lache alors un « Très bien, bonne journée
alors. » en me fixant du regard. Ses yeux me disent « Vous circulez maintenant, vous parlez bien mais rien ne me dit que vous êtes pas un assassin antisémite ». Alors je dégage hein la journée commence à peine les problèmes peuvent attendre.
Je décide de suivre le son de l'hélico
de gendarmerie non loin et de me diriger vers la zone qu'il survole,
ça m'économisera le GPS et donc la batterie. Plus
j'approche de la zone de manifestation plus j'entends les sirènes de
la police. Ca n'arrêtera plus jusqu'au soir. J'arrive près du
Printemps après avoir remarqué des CRS en faction proches de la
Gare St Lazare et là aussi, un cordon policier a pris place.
Personne ne passe. Bon, il y a une rue non loin pour contourner la
zone je vais la prendre. Pas de bol un camion de police arrive et une
rangée de flics style brassard-tonfa-casque arrive et se met en position afin de bloquer la circulation des piétons. Demi-tour
complet, le détour sera plus long que prévu et je commence à sentir que l'état policier est en pleine forme.
J'arrive près des champs. Sur la route
j'ai vu plein de rues fermées par ces murs de plastique et de
grilles métalliques de la police, un vrai zoo policier avec plein de
CRS qui te fixent, qu'on ne peut pas approcher et dont on se demande en les
regardant s'agiter s'ils sont nourris et bien traités. On leur
jetterait bien une cacahuette mais ça mord ces bestioles. Et on n'a pas le temps. Plus
j'approche des champs plus les cris « Macron démission ! »
deviennent imposants. Et en arrivant sur place je le constate :
il y a nettement plus de monde que la semaine passée. Mais sérieux,
c'est ouf. Je suis au bas des champs, côté concorde (encore
bouclée), et si la foule est à ce niveau un peu éparse, plus je lève les yeux vers l'Arc de Triomphe plus il s'agit d'un bloc. Je vais
remonter ça en vitesse, trop excité de retrouver un mouvement plus
classique, unitaire, massif, qui en très grande majorité est venu "discipliné".
Sur le chemin des tonnes de pancartes
bien inspirées dont un « Social Wars : République VI Un
nouvel espoir » qui m'amuse indépendamment de ce que je peux
bien penser d'une sixième république. Des affiches détournées de
« La vérité on te ment » avec au casting les membres du
gouvernement. Bref, je sens qu'il y a une très forte population de
manifestants qui ont l'habitude de sortir et de créer de belles
pancartes, et déjà le message de dangerosité de l'événement perd
de son impact. Autour de moi il y a bien 80% de gens posés qui
marchent ou discutent, scandent un slogan une fois de temps en temps
mais ne démontrent pas l'envie d'affronter qui que ce soit
physiquement. 10% de gens sans doute un peu alcoolisés et fatigués
de manifester préfèrent pour leur part crier sur tout le monde
qu'on est trop pacifistes, trop gentils, trop moutons, et qu'on
devrait remonter l'avenue et aller montrer aux CRS de quoi on est
capables. Moi je regarde ça d'un œil plutôt condescendant, je me
dis pauv' gens complètement à l'ouest qui n'avanceront sur rien ou
semblent chercher la blessure, mais ça c'est mon point de vue.
Et puis 10% de gens organisés,
équipés, émeute-ready qui sous leurs lunettes de ski et leurs
vêtements noirs semblent être les habituels black-blocs. Ils ne
parlent à personne, seulement entre eux, se déplacent en groupes
pressés, circulent en zigzaguant entre les manifestants. Ils sont là
pour un truc précis y'a pas de doute, ils veulent faire la guerre.
Tant qu'on ne les voit pas faire, on les laisse user de leur libre
arbitre, ils vont et viennent sans emmerder personne. Ca changera sur
le haut des champs lorsque face à un immense contingent policier ils
auront leurs premières palpitations libertaires, celles qui
traduisent le fait d'être en manque de jets de pavés. On en
reparlera.
Comme d'hab je peux dialoguer avec
plein de gens, je prends des photos de pancartes en félicitant les
auteurs, « bien trouvé mec ! » « haha
excellente ton affiche bravo ». Des groupes ont des banderolles
de grande taille dont l'une « Référendum d'initiative
populaire ». Une autre qui a le génie de détourner les
symboles est un gigantesque drapeau français et sur chaque couleur
une étoile rappelant celles du maillot de l'équipe de France. Du
coup il y en a trois des étoiles, une pour le bleu *1789 une pour le
blanc *1968 et une pour le rouge *2018. C'est classe, les
photographes comme moi s'atroupent comme des vautours, comportement
notable lorsqu'une belle affiche apparaît, qu'un manifestant se met
à hurler sa vie ou plus souvent lorsqu'il y a du sang et des larmes.
Je remonte l'avenue mais difficile de
ne pas remarquer les détonations hyper violentes qui viennent d'en
haut et qui ne rassurent pas. Extrêmement sèches mais lourdes,
elles poussent à croire qu'une bombe artisanale a pété. Puis
trois, quatre, dix, cinquante explosions du même genre font oublier
cette idée « Putain ça doit être les trucs des CRS en
fait ».
En bas des champs une rue permettait
l'accès et autorise encore la sortie, au milieu des champs une rue
sur la gauche semble dégagée. Choses à noter quand tu te rends
dans ces événements. Même s'il est parfois difficile de trouver
une voie d'issue au gré des mouvements de foules et de police, mieux
vaut ne pas entrer dans les rassemblements sans savoir comment en
sortir. Ce qui est encore plus vrai lorsque le reste de l'avenue est
une gigantesque nasse. Car plus haut toutes les rues perpendiculaires
sont bouclées par des murs immobiles de CRS. Derrière eux, plus
haut dans ces rues, d'autres camions d'agents attendent, établissant
un cordon sécuritaire au cas où nous tenterions de passer au
travers et de courir vers l'oxygène.
BOOM. BOOOOOM. BOOM. BOOM. BOOM. Putain
ça recommence. Je comprends pas, tout le monde semblait posé, c'est
déjà l'émeute ? Ben non. Mince. Plus je monte les champs plus
les gens sont stressés, apeurés, et bien vite je vais connaître le
sentiment. Un mur de CRS s'est positionné face aux manifestants sur
le côté droit de l'avenue, je m'approche et discute avec deux
streetmedics aperçus nettoyant les yeux d'un manifestant. Je leur
fait une tape sur l'épaule et leur dis Respect les gars. « C'est
normal » me répond l'un d'eux. Et ben non mon pote c'est pas
normal. Car tu n'es pas là pour soigner des casseurs et tout le
monde le sait. Tu es là pour aider les manifestants qui morflent, et
aujourd'hui tu vas avoir du taff.
On papote et BOOOOOOOOOM. « Ca c'est une F7. C'est même pas légal
en temps de guerre. Ca arrache des jambes cette merde. (BOOOOM) Ca c'est une F4 qui est un peu moins forte». (Ses refs techniques me semblent un peu bancales, mais le propos est valide). Quelque part je ne lui dis pas mais bon sang, si elle tombe sur ta
main ok, mais sinon, ON NE RAMASSE PAS UNE GRENADE. Hey ok hein,
c'est n'importe quoi de voir ces engins utilisés dans un contexte de
manifestation et encore plus lorsque 90% des gens ne font rien de
mal. Mais par pitié répétez-le à ceux dont vous savez qu'ils
iront en manif : ON NE RAMASSE PAS UNE GRENADE. Répétez après
moi. ON NE...non bon je rigole mais dites-le à tous les
manifestants. Une grenade ? On se retourne, on se tient la tête,
on se protège le visage, on s'éloigne sans courir comme un dératé
en particulier s'il y a 500 personnes autour, on fait tout ce qu'on
veut ou peut, mais pas ramasser la fuckin' grenade. Rangez vos mains
les copains. C'est utile des mains. D'ailleurs si vous pouviez
renvoyer ces grenades sur des mecs en armure de chevaliers de l'ordre
je vois pas ce que ça produirait de plus qu'un BOOOOOOOOOM.
Le streetmedic tourne la tête et voit
un type « Oh tu serais pas le type de Libération qui a filmé
Burger King ? » Ouais c'est lui. Ils échangent vite fait
et je prends la suite. Dis mec t'as sans doute déjà couvert des
manifs t'es pas surpris par la config là ? « Bah
franchement si, enfin j'ai déjà vu de la nasse/lacrymo mais là
c'est fou quoi, les gens sont posés, enfermés, grenadés alors que
t'as pas tant de casseurs que ça ». Un gilet jaune à côté
« Excusez-moi mais je n'ai même pas vu de casseurs moi hein,
je sais pas où ils sont vous les avez vus vous ? ». Je
dis avoir aperçu des gars style blackblock et que c'est sans doute
eux, mais je ne les ai pas vu agir. A ce moment là un gilet jaune me
dit « Oh putain les cons. T'as pas vu ? Un gilet
jaune s'est pris un pavé sur le bras là ! ». Ah non j'ai
pas vu. Mince. Y'a donc bien des casseurs, mais voilà le début
du problème.
Ils sont en minorité flagrante.
VRAIMENT. Je le souligne pour les lourdingues qui parviennent
toujours à trouver un argument aux bavures : « Ouais ben
si t'as la gueule arrachée c'est que t'as bien du faire quelque
chose gné. Les flics font pas ça par plaisir double-gné ».
Nan mais les gens, voilà une image pour bien faire comprendre la
configuration : 1000 personnes dans une pièce, 10 d'entres
elles foutent la merde, alors 100 grenades seront lancées. La
« doctrine » de Castaner et des forces de l'ordre qui
consiste à ne pas aller au contact s'avère en réalité plus
barbare qu'autre chose. Des gilets jaunes voulaient arrêter
eux-mêmes les casseurs mais n'osaient pas, ils n'ont pas de
boucliers, de tonfas et d'armures. Déjà que leurs masques et
casques ont été pour beaucoup confisqués/interdits. Alors que des
gilets jaunes croyez-le bien aimeraient voir les CRS bouger leur cul
en pack pour aller choper du casseur. Peut-être même qu'on les y
aiderait en les retenant par le col.
Mais non, la doctrine est ainsi faite.
Au cœur d'une foule non-violente mais libertaire, on considère
qu'un casseur prend un risque, doit assumer ses conneries s'il est
puni physiquement. Mais il ne risque pas grand chose de plus qu'un
manifestant pacifique le casseur, puisque la réponse c'est trente
grenades dans la gueule de la foule non-violente plutôt qu'une
trentaine de pas pour choper le violent et l'interpeller. Que se
passe-t-il alors ? Les pacifistes s'énervent. Ils s'approchent
des CRS, leurs crient dessus les habituelles phrases sans effet :
« Mais vous avez pas d'gosses ? Vous voyez pas ce que vous
faites ? Il est où votre cerveau ? Pourquoi vous êtes
cons comme ça ? Sous l'armure vous êtes des hommes, des
humains bordel ! On en est plus conscients que vous c'est
hallucinant ! Enculés ! ». Un manifestant passe même
près d'un cordon qui bouche une rue et crie un truc qui fait marrer
les gilets jaunes : « Et bah j'espère que vous baiserez
pas ce soir ! J'espère que vous allez vous branler pendant des
mois vous méritez pas de connaître l'amour bande de fils de
putes ! ».
Toujours à proximité de mes copains
streetmedics, ça détonne à nouveau. BOOOM. BOOM. BOOOM. BOOM.
BOOM. BOOM.....BOOOOOOOM...BOOM. BOOM. BOOOM. (Beaucoup de booms pour
que vous pigiez les salves interminables). Et là un cri « Ahhhh
putain batards ! ». une jeune femme se tient le bras et
s'approche de nous, les streetmedics vont vers elle, les
photographes courent vers nous tous. Je ne vois pas ce qu'elle a
étant hors du cercle, mais elle pleure et c'est moche. Les
streetmedics décident de l'accompagner vers une rue bouclée et
demandent aux CRS de laisser passer. Ils sont ok, ils ont un médecin
pas loin. Le streetmedic lui restera ici, un CRS accompagne la jeune
femme. Plus tard je la recroiserai dans la manif : ils m'ont
ramenée après m'avoir désinfectée et bandée etc. « Toi t'es là t'es posée tu fais rien de mal tu te prends un flashball dans la gueule quoi ». Mais ça
va mieux ? «Oui ça va mieux, en même temps je me suis assise à côté d'un gars t'aurais vu la gueule de son pied ». Je n'ai pas eu le temps de bien comprendre ce qu'elle me disait que d'autres pétaient à proximité nous poussant à focaliser notre attention sur ce qui se passait autour.
On continue de discuter en haut des
champs avec les streetmedics et un homme aux cheveux rasés très
court approche, tous les regards sont sur lui, et en le voyant
moi-même je comprends pourquoi. Son crâne pisse le sang. Il marche
et se dirige vers le lieu où la jeune femme avait été évacuée,
les CRS le laissent passer et l'emmènent. Les détonations
continuent et n'arrêtent plus. Les CRS nous demandent de ne pas
rester près d'eux. « Bah ouais parce qu'ils tirent même sur
leurs collègues ces cons là » dit un gilet jaune venu
demander à un CRS de lui garder sa 8-6. (Prix du Meilleur Troll du jour).
.
Avec les manifestants autour on commence à s'inquiéter parce que ça remue beaucoup en face, les policiers chargent et balancent de la grenade à foison, ça se rapproche de nous et on sent qu'ils vont charger de ce côté aussi.Un CRS précise « Quand on chargera je vous le dirai, il faudra partir avant nous, prendre de l'avance et ne pas rester là sinon on sera bien obligés de vous pousser, pas forcément violemment mais quand même au bouclier ». Ok poto, t'es gentil de nous expliquer une partie de ce qui ne va pas. Les manifestants ne sont pas protégés par les CRS qui même s'ils dialoguent obéissent à des ordres et à une logique qui sentent la connerie. Le propre de tout ça c'est d'agiter la foule, l'énerver, faire subir à des gens qui ne le méritent pas un traitement qu'on dit vouloir appliquer à des « ultras ». Mon cul sur la commode. Les grenades n'ont pas de têtes chercheuses, quant aux CRS, on finit par se demander s'ils ont une tête tout court.
.
Avec les manifestants autour on commence à s'inquiéter parce que ça remue beaucoup en face, les policiers chargent et balancent de la grenade à foison, ça se rapproche de nous et on sent qu'ils vont charger de ce côté aussi.Un CRS précise « Quand on chargera je vous le dirai, il faudra partir avant nous, prendre de l'avance et ne pas rester là sinon on sera bien obligés de vous pousser, pas forcément violemment mais quand même au bouclier ». Ok poto, t'es gentil de nous expliquer une partie de ce qui ne va pas. Les manifestants ne sont pas protégés par les CRS qui même s'ils dialoguent obéissent à des ordres et à une logique qui sentent la connerie. Le propre de tout ça c'est d'agiter la foule, l'énerver, faire subir à des gens qui ne le méritent pas un traitement qu'on dit vouloir appliquer à des « ultras ». Mon cul sur la commode. Les grenades n'ont pas de têtes chercheuses, quant aux CRS, on finit par se demander s'ils ont une tête tout court.
Mouvement de foule, on se met à
courir, des cris de peur. Des détonations en pagaille. De l'autre
côté de l'avenue grosse charge de CRS accompagnés de
tonfas-brassards-casques. Ca pue. Mais tellement. On ne manifeste
même plus, on regarde et on attend. BOOOOOOOOOOM. Putain celle-là
était à dix mètres, je me colle à un mur, dos tourné, je mets ma
capuche par dessus mon bonnet et je commence à trembler. L'instinct
de survie s'exprime, rien ne va plus. On est des dizaines contre le
mur, on se tient loin de la rue, mais on ne peut pas s'en aller, les
accès étant bouchés. Après quelques minutes, je me décide à
redescendre l'avenue. Sur le chemin les détonations continuent, des
mouvements de foule récurrents. Lors d'une course mon appareil photo
tourne en mode vidéo, pointé vers le sol, je vois une belle trace
de sang et la filme tout en courant. Je déteste ce que je vois. Je
le redis, 80% des gens étaient immobiles, posés, manifestants mais
« responsables » comme dirait le premier connard
gouvernemental venu. Je vois quand même un blackbloc éclater un
morceau de trottoir au sol pour en faire du pavé. J'ai enfin vu mon
premier casseur du jour.
Le trottoir pété en arrière-plan, ceux qui sont dans l'image n'y ont pas touché (précision utile). |
Un Gilet Jaune discute avec sa pote et
demande « Mais ils sont où les médias BFM et tout ? »
« Sur un toit » répond sa pote. « Putain ils
doivent payer cher pour une vue des champs au balcon ». Je ne
peux m'empêcher d'intervenir : Heu non mec, ils sont chez
Publicis je pense que c'est gratuit et qu'il y a même des petits
fours. Mais sa question traduit le fait que certains sont bien à
l'abri pendant que nous, nous en chions sévèrement. Je ne devrais pas être trop dur avec eux, lorsque tout le monde sera parti ils prendront tout de même le risque de filmer quelques débris fumants entourés de Bacqueux et de pompiers. #cynismeinside
Je commence à ne plus avoir envie
d'être là. Au bas des champs je peux souffler mais des manifestants arrivent encore,
n'ont aucune idée de l'atmosphère plus haut. L'un d'eux nous
engueule alors qu'il n'a rien vu « Bah alors feignants venez là
haut là vous restez là comme des cons ça sert à rien, allez venez avec nous ! ».
Sa face amusée croise mon regard endurci et je ne peux pas m'empêcher de
lui hurler dessus : Vas-y va bouffer ta grenade et reviens nous
dire ça abruti ! Vas-y va morfler et tu pourras l'ouvrir, allez va là-bas ! Je
m'éloigne en lui tournant le dos et criant un monumental
« Abruti ! ». Les gilets jaunes autour me regardent
mal mais semblent s'interroger. D'autant que j'ai le logo "peace" dessiné sur mon gilet et que visiblement j'ai plus trop la force de paix en moi. Un jeune femme du 77 discute avec moi
et me dit qu'elle sent qu'on nous a baisés et qu'on ne peut pas
manifester sereinement et pacifiquement. On tombe d'accord, tout est
fait pour embraser la foule. Ils avaient dit aux GJ de ne pas venir
pour affronter seulement des casseurs, peut-être, ils ont ensuite vu venir énormément
de GJ et des casseurs en infériorité, bon ben ils ont quand même
appliqué la « doctrine » du jour et agi comme s'il n'y
avait que des casseurs. En tous cas c'est ce que j'ai ressenti.
Je prends mon téléphone et appelle ma
mère, qui je le sais squatte BFM en s'inquiétant probablement alors
je la rassure en lui disant que je vais bien, je suis juste mal dans ma tête.
Je lui demande ce qui se dit à l'antenne : « Oh bah ils
disent que ça se passe bien, que c'est bien mieux que la semaine
dernière ». Je la coupe un brin trop agressivement. QUOI ?! Ils disent que ça se passe bien ?
Mais j'ai vu du crâne ouvert, une jeune femme blessée au bras, on m'en raconte d'autres, ils
lancent des grenades et chargent sans arrêt. « Rah putain. Ils
disent pas ça à la télé ». Tssss tu m'étonnes je reste dix
minutes au téléphone et lui explique que comme la semaine passée
on voit de la fumée noire s'élever depuis les rues adjacentes. Plus
tard elle me dira par sms que les CRS chargent aux chevaux rue de Bretagne, que c'est la merde rue de Courcelle, que ça part en vrille
rue Réaumur. Finissant de me convaincre qu'il faut partir.
Je vais vers la rue ouverte sur la
partie gauche et basse des champs. Je me pose là pour vapoter en
stress, la nicotine m'apaisera. Des gilets jaunes entre potes
discutent du fait que c'est n'importe quoi. Je les informe avoir vu
un crâne ouvert, une femme blessée, des mouvements de foule. Eux me
disent qu'une grenade a pété sur le crâne d'une manifestante.
Effroi dans ma tête, je demande comment elle va ? « Elle
avait une capuche heureusement, alors la capuche a brulé et elle a
une putain de bosse sur la tête mais elle a pu marcher etc ».
L'un d'eux est au téléphone et répète ce qu'on lui dit «De quoi? Les trains ne circulent plus ? Bon. Pardon ? Mort quoi ?». On stresse direct et on lui saute dessus pour demander s'il y a une mort annoncée, il dit ne pas avoir bien compris, nous non plus, on n'en saura pas plus et apparemment avec le recul, aucune mort n'a été annoncée mais cela témoigne de l'atmosphère qui régnait. En face de moi je vois un homme assis sur le rebord d'une vitrine,
endormi. Je le prends en photo et le filme, alors que des gilets
jaunes sentent qu'il faut s'en aller et se mettent tous à s'engouffrer
dans cette rue. Ca charge probablement même sur la partie basse. Je
me casse.
Remontant la petite rue, j'arrive sur
une petite place blindée de gilets jaunes, et dans les rues suivantes que
j'aperçois au loin, même foule de couleur unie. Y'a tellement de
gens c'est ouf. On monte une rue, on en voit une sur notre droite,
des GJ en arrivent et préviennent « Pas par là ils
arrivent ! ». Ok, on prend une autre rue, sur la gauche
une rue et des GJ qui arrivent « Demi-tour les gars faut pas
aller par là ». Bon. On continue tout droit alors. Le bruit de
l'hélico fout l'ambiance, et la fumée au bout de la rue prépare au
pire. Mais là, pas de flics. Au sol des traces de projectiles de CRS
mais ici le ratio pacifistes/violents a changé. Je dirais que 30
à 40% des gens présents sont passés en mode émeute, les autres commencent à admirer car ils sont révoltés par ce qu'on leur a mis toute la première partie de journée. Un feu au
milieu du carrefour fait de débris divers, les pavés détachés,
les grilles métalliques des arbres trainées au milieu de la rue et
d'un coup une trompette sonne la marseillaise, reprise par la foule
moins grande que sur les Champs mais tellement plus imposante par la
voix.
Impressionné par le caractère
insurrectionnel et révolutionnaire du moment, je me mets à
reprendre quelques mots en cœur. Je n'aime ni les symboles
républicains ni la Marseillaise (j'ai mes raisons) alors j'y vais mollo mais je dis plus tard à un GJ
« Peu importe les mots et ce à quoi ils renvoient ce qui
importait à ce moment là c'est qu'on dise tous les mêmes mots en choeur ». C'est ça
qui me donne un frisson, plus sympa que les tremblements plus tôt.
On avance, ça brule encore plus, et des pavés commencent à venir
de l'arrière (les potes qui ont vu le live facebook savent) alors je
décide de rebrousser chemin. Je ne veux pas être blessé je suis
pas là pour ça.
Plus loin une voiture brûle, des
pompiers s'affairent, personne ne les emmerde. Sur le trottoir d'en face des Gilets Jaunes marchent vers nous les mains en l'air. Derrière les pompiers une
dizaine de tonfa-brassards-casques (je vais finir par les appeler
TBC) et sans doute flashball/lacrymos venus les protéger sont tout de même en retrait, et on dirait
que ce sont les pompiers qui permettent aux flics de ne pas être
ciblés par des projectiles. On arrive à proximité du Conseil
social et environnemental machin truc, je me pose sur un banc.
Mouvement de foule, les GJ courent vers moi. Putain mais laissez moi
me reposer les jambes quoi !
Décidé je quitte le cortège, à
proximité une rue gardée par un seul camion de CRS est empruntable
car ils sont trop peu nombreux pour bloquer quoi que ce soit. Je
passe devant eux et les regarde, rigolards, posey comme jaja, et mon
regard se fait accusateur. La Tour Eiffel n'est plus très loin, je
traverse le pont et me trouve un banc. La pluie commence. Le
sentiment de dépression aussi. Tout ça est d'une mocheté profonde.
Mais derrière moi les touristes vivent leurs vies, achètent des
churros, tapent du selfie monumental, promènent le chien, font leur
jogging. Un début de réalité se dessine. La nasse coupe du monde.
Des GJ arrivent dans la même zone, peu nombreux, et bien vite une
vingtaine de camions de CRS gyros et sirènes à fond. Ils prennent
de l'avance sur les GJ. Et la carte postale touristique change de
gueule ce qui malgré tout n'empêche pas les insouciants de
persister dans leur état d'esprit déconnecté.
Je remonte le Champs de Mars. Au loin des GJ pètent une camionnette et des arrêts de bus, derrière eux un mur de CRS et des barrières qui n'ont pas tenu longtemps. Les CRS les ramassent et un petit détachement suit l'attroupement. De mon côté je vois la scène avec à ma droite et à dix mètres un couple d'amoureux faisant leurs photos avec la Tour en arrière-plan. C'est symbolique. Je fais une vidéo (instagram) en rigolant nerveusement. Où va ce putain de monde me dis-je.
Mon périple se termine bientôt. Je
traverse un beau quartier, sur l'Avenue Floquet et j'y découvre
l'ambassade d'Éthiopie, un brin interloqué (qu'est-ce qu'elle fout
là entre les Cayennes, Audi, Mercos et autres dorures puantes? Y'a comme un truc pas net).
J'ai toujours mon gilet jaune mais je suis tout seul. Un vieil homme
qui passait par là m'approche. « Vous devriez faire attention
en portant ce gilet ici ». Ah bon monsieur ? « Ben
oui vous avez vu votre mouvement à quoi ça ressemble ? C'est
les cités qui viennent mettre le feu ça. Vous savez ici les gens
vont finir par sortir les fusils ! ». Ah oui, je comprends
bien, c'est dommage. « Mais c'est pas dommage c'est à vous
d'enlever ce gilet enfin ! » Que voulez-vous on essaye
d'avoir un symbole commun, ça rassemble des gens très différents
aux idées et méthodes très différentes. « Oui enfin des
gens différents... Vous voyez bien ce que c'est... Enfin... »
Je vois très bien ce que vous avez sur le cœur monsieur. « Ben
oui c'est des basanés quoi ». Oui monsieur. « Et puis
les gens vont s'énerver ici ». La division ne rend service à
personne monsieur. « Ben oui la division ça fait perdre tout
le monde ». Je sais monsieur. « Vous voyez pas ce qui se
passe ? » Si monsieur, oui monsieur, ok monsieur (Bon tu
me rends ma jambe steup'?).
On finit par se lâcher devant
l'académie militaire et je me retrouve complètement seul en gilet
jaune dans une foule de parisiens trendy djeunz snapeurs de la mode,
des lycéens qui laissent une odeur bourgeoise sur leur passage
et leurs mots sont presque amusants « Y'a même pas moyen de
faire du shopping aujourd'hui c'est quoi ce week-end de merde
hahahaha ? ». « Vivement que ça se termine ces
conneries ». « Lol mais il s'est perdu lui ? C'est
le vilain petit canard ! ». Je croise des tas de potes du coin qui
se mettent à éclater de rire en me voyant approcher. Tantôt je les
regarde en souriant, ambassadeur des basses classes parfois mieux éduquées que les hautes, tantôt je fixe mon chemin et petit à petit mon
visage se décompose. A mesure que je pige la déconnexion, le fossé
entre GJ et reste du pays. Fossé à l'image de divisions
politiciennes liées aux appartenances partisanes, aux intérêts de
classes, à l'organisation du diviser pour mieux régner, tellement
en forme et pour l'instant pas réellement en danger. Ne faisons pas les malins, des gens qui défendent le gouvernement aveuglément et justifient la moindre barbarie policière, on en embrouille quotidiennement sur nos réseaux.
Je veux aller prendre le train et
retrouver mon Oise grisonnante mais plus réelle. Mais les ponts sont
fermés. Près de la concorde les agents des BAC se préparent, garés
sur une voie fermée. Je les vois de loin, j'enlève mon gilet jaune.
Je veux pas être leur début de quota. Je traverse le pont de la
Concorde, au bout un mur de CRS empêche de passer. Je demande à un
CRS : Bonsoir excusez-moi (je suis bien élevé quand même)
pour aller Gare du Nord par où peut-on passer ? « Prenez
à droite sur les quais là, passez devant les Tuileries un pont sera
ouvert. » (En fait la passerelle Léopold Sédar Senghor). Je
lui réponds Merci. Vous êtes de Paris ? « Pas du tout »
dit-il en souriant, je lui dis Ben merci de m'avoir renseigné
alors ! Mais je sais qu'il a des consignes et qu'il sait que ce
chemin est bon alors j'y vais. De toute façon mon GPS confirme la
direction. (La confiance règne). Les quais sont très peuplés, des manifestants loin de
l'épicentre et en direction de leurs transports du retour sont là mais les parisiens aussi. Par endroits des
barrages de CRS fouillent encore les sacs. Mais avec courtoisie et
hypocrisie, concepts relativement similaires dans ce genre de
situations, tout se passe bien. Juste une image surprenante du Paris
nocturne allumant ses lampadaires et ses monuments alors qu'au loin
les sirènes de police ne s'arrêtent jamais, alors que le phare de
la Tour Eiffel transperce un voile dont on ignore s'il est fait de nuages
ou de fumées.
Arrivé à la fameuse passerelle un GJ
semble perdu et se gratte la tête en pestant, un homme qui remonte
sa braguette en sortant d'un recoin humide et puant, lui dit en me
désignant « Ben tiens demande lui à lui là ». Le GJ
m'approche « Vous n'auriez pas une batterie externe ? Je
suis venu de Roanne (42, c'est loin !) avec mes collègues en
bus et je me suis perdu je comprends rien à Paris. Je voudrais les
appeler mais j'ai plus de batterie ». Je le regarde avec un
sourire malicieux et l'espace d'une seconde il croit que je suis un
parigot qui se moque de lui mais je dis « Ouais, j'ai une
batterie externe mec ». Il est trop content. Je me pose avec
lui 5 minutes le temps que ça charge un peu, il appelle tout en
ayant la batterie branchée, mais la ligne coupe. « Rah putain
d'connerie ». Il remet la batterie en place et paf un de ses
collègues lui aussi tout seul et au téléphone le trouve et lui
dit « Bah t'es là ! ». Le miracle est total. On
repart tous ensemble en marchant sur la passerelle, le pote me
remercie, je leur souhaite bon courage et je dis que mes jambes
sont mortes, que Gare du Nord c'est loin...
Passant devant la station de métro Pont-Neuf
j'aperçois qu'elle est ouverte et par chance un employé de la RATP
m'informe que je peux rejoindre la Gare de l'Est puis la Gare du Nord une station plus loin. Là-bas des Gilets Jaunes sont tous assis
en groupes au sol, dévorent des sandwiches achetés hors de prix dans
les boutiques de la gare. D'autres à proximité des toilettes au
sous-sol ont simplement l'air cuits. Ils ne bougent plus, regardent
passer les gens comme s'ils étaient sans-abri. J'échange quelques
sourires et je m'en vais pisser pour 70 centimes d'euros. Au moins le
mec qui tient les lieux est sympa, mais ça fait cher le soulagement.
Dans les toilettes, un pavé posé près de la brosse. Ambiance
insurrection hygiénique. Derrière moi la porte est recouverte de
tags dont certains qui renvoient à la situation sociale. « Le
chômage ! Le chômage ! Un métier d'enculé ! Être
flic un métier de bâtard !! ». « Tu
es entouré et rarement seul. Mais surprenant la façon dont tu te
sens seul ! ». « 10€ pour chier, c'est quoi cette
merde ? » « Cherche asiatique pour faire
l'amour »... Ah celui-là est un peu hors sujet.
Le train est à l'heure, sur le chemin
une altercation entre un ancien de la rue et une nouvelle du crack
(selon ce qu'il dit en l'insultant et lui intimant l'ordre de quitter "son" train) alimentera une discussion houleuse digne
d'un CamClash de Paris à Creil sans interruption, ponctuée par une
agression verbale par l'homme extrêmement engagé et conscient mais beaucoup trop agressif pour en faire un avantage, à l'encontre d'un jeune agent SNCF.
Une histoire à raconter plus tard... Dans le wagon d'à côté, ça semble s'énerver aussi, on entend crier "On veut pas de gilet jaune ici enculé!". "Ta gueule!". L'homme nerveux assis non loin de moi le prend en souriant et dit à tout le monde que ce sont sans doute des gens qui se connaissent et sont venus manifester. On n'en sait rien en vérité, mais l'ambiance n'est pas au beau fixe, toute la tension française alimente le voyage. Une jeune creilloise énervée par le ton qu'emploie l'homme en particulier au moment d'embrouiller un agent SNCF l'envoie bouler sévèrement, avec beaucoup de courage. Les deux se souhaitent bonne soirée de façon hypocrite mais utile (finir sur une touche de politesse rassure tout le monde). Je la retrouve hors de la Gare de Creil et lui dit bravo, d'avoir su contrôler le moment sans perdre ses nerfs, on discute, on rigole, le dialogue impromptu et toujours souriant avec des inconnus me laisse un peu d'espoir pour compenser tout ce qui est moche et que j'ai vu aujourd'hui.
Quoi qu'il en soit, les Gilets Jaunes qui se féliciteraient d'une telle journée ainsi que leurs opposants qui félicitent déjà les forces de l'ordre me semblent tous dans le déni. Ce qui m'apparaît à moi c'est que même ce mouvement inédit se voit circonscrit dans un espace dédié, lui-même cerné par un monde qui s'en tape la cocarde. On est extrêmement loin d'une révolution populaire, d'une prise de conscience généralisée ou d'une nouvelle unité du peuple. Je suis finalement parti beaucoup plus tôt que samedi dernier de l'épicentre des "heurts" que j'appellerais plutôt "le merdier organisé" car n'ayant pas de protections et ne pouvant donc pas faire tant d'images que ça, j'ai préféré m'en aller doucement vers mon train du retour, afin de ne pas finir blessé ou de ne pas nourrir encore mon sentiment de tristesse et de dégoût en restant là pour rien... C'est sans doute lâche aux yeux de plein de gens, je suis ok avec ça.
Quoi qu'il en soit, les Gilets Jaunes qui se féliciteraient d'une telle journée ainsi que leurs opposants qui félicitent déjà les forces de l'ordre me semblent tous dans le déni. Ce qui m'apparaît à moi c'est que même ce mouvement inédit se voit circonscrit dans un espace dédié, lui-même cerné par un monde qui s'en tape la cocarde. On est extrêmement loin d'une révolution populaire, d'une prise de conscience généralisée ou d'une nouvelle unité du peuple. Je suis finalement parti beaucoup plus tôt que samedi dernier de l'épicentre des "heurts" que j'appellerais plutôt "le merdier organisé" car n'ayant pas de protections et ne pouvant donc pas faire tant d'images que ça, j'ai préféré m'en aller doucement vers mon train du retour, afin de ne pas finir blessé ou de ne pas nourrir encore mon sentiment de tristesse et de dégoût en restant là pour rien... C'est sans doute lâche aux yeux de plein de gens, je suis ok avec ça.
Les conclusions/analyses/déductions
politiques/politiciennes on se les échangera via les réseaux, on
verra bien ce qu'on en pense chacun dans notre coin et selon nos
inclinaisons. En somme on ne fera pas grand chose de différent par
rapport aux mouvements sociaux des dernières années, mais on trouvera peut-être ainsi comment s'y prendre par la suite. Je dirais
seulement que tout ça laisse un goût amer et me semble dire, à
moi, que l'action était nécessaire, mais qu'il faut maintenant
reprendre un travail de communication, on ne rassemblera personne via
les interminables « actes » du samedi. Les divisions vont
juste se creuser entre membres du peuple, le pourrissement va
fonctionner, on va finir déçus ou hospitalisés. Pour ma part je ne
pense pas retourner à Paris samedi prochain (j'ai pas de sous et plus d'emploi alors ça revient cher 10€ le trajet jamais contrôlé) et je ne pense pas être
personnellement favorable à la poursuite du mouvement dans ce
contexte précis des « samedis noirs ». Sinon d'ici
quelques semaines on aura un événement facebook « Acte 19 : Bon cette
fois on vous jure que c'est la bonne vraiment mais véritablement pour de vrai c'est certain»...
Je ne suis pas convaincu que le mouvement bénéficie d'un tel tragique de répétition...
[Petit MAJ : après le discours d'Emmanuel Macron ce soir (10/12) franchement finalement j'y retournerais bien juste pour qu'il ne pose pas en vainqueur...]
[MAJ de la MAJ : vu le contexte compliqué et parce que je pense que poursuivre dans l'action sans privilégier la communication/la conviction des gens à distance du mouvement, finalement je n'irai pas sur Paris ce samedi]
Je ne suis pas convaincu que le mouvement bénéficie d'un tel tragique de répétition...
Voici la vidéo de mon parcours
Et pour aller plus loin, indépendamment des opinions politiques qu'il peut soutenir,
je vous invite à regarder le reportage de Vincent Lapierre durant cette même journée.
Il a parfaitement saisi le moment, la nature violente du dispositif policier ayant poussé l'énervement
ainsi que de nombreuses interviews utiles (et même celle de casseurs).
[Petit MAJ : après le discours d'Emmanuel Macron ce soir (10/12) franchement finalement j'y retournerais bien juste pour qu'il ne pose pas en vainqueur...]
[MAJ de la MAJ : vu le contexte compliqué et parce que je pense que poursuivre dans l'action sans privilégier la communication/la conviction des gens à distance du mouvement, finalement je n'irai pas sur Paris ce samedi]