Distribué sur une petite centaine de copies ce film, s'il passe près de chez vous, mérite vraiment que vous courriez le voir ne serait-ce que pour vivre de belles et puissantes émotions tout en découvrant l'histoire vraie d'une démarche photographique extrêmement touchante. Celle de Masashi Asada.
Jeune photographe japonais en manque d'inspiration, Masashi décide un jour de mettre en scène ses parents dans des situations qu'ils n'ont pas pu vivre réellement et cela afin de les amuser tout en adoucissant leurs éventuelles frustrations. Il commence par concrétiser ce projet en proposant l'idée à son père, l'homme qui lui a en premier mis un appareil photo dans les mains, et qui a fait le choix de soutenir son épouse, infirmière en chef très investie dans son métier, en restant au foyer pour élever leurs deux fils. En conséquence il n'a pas pu s'orienter lui-même vers le métier et la carrière dont il avait rêvé étant plus jeune : pompier. Masashi lui permet d'imaginer sa vie rêvée le temps d'une mise en scène destinée à créer un faux souvenir, une photographie qui sera ensuite encadrée et mise au mur dans le salon familial.
Mais une "private joke" peut éventuellement se transformer en projet de vie, et c'est ce que pense Masashi qui commence par valoriser sa série photographique en la compilant dans un bel ouvrage (véritablement disponible encore à l'heure actuelle), puis qui songe à professionnaliser sa pratique en la déclinant sous forme de service. Il se rend donc disponible à toute famille souhaitant dialoguer avec lui pour imaginer une situation emblématique, synonyme d'un moment de plaisir partagé, avant de la mettre en scène et l'immortaliser.
Et c'est à l'occasion de l'une de ces rencontres avec une autre famille que le ton du film commence à changer, mettant de côté l'espièglerie car une question se pose : comment faire pour amener ce bonheur là dans une famille touchée par un malheur visible, qui lui aussi finira dans l'image ? Comment garder le sourire si une fois l'oeil dans l'objectif, le photographe prend conscience de ce que l'image représentera peut-être dans un avenir proche : le souvenir d'une personne disparue ?
Masashi tente de rester professionnel et de faire son devoir de photographe, mais quelque chose change à ce moment précis : il ne parvient plus à mettre en scène le réel et sa photographie n'est plus un prétexte à l'amusement car seul l'avenir relativement proche dira si ce à quoi elle renverra sera de nature à provoquer le rire ou les larmes. Ce moment d'une grande sobriété vient calmer tout le monde, Masashi et les spectateurs. Fini de rire et toujours en cohérence la mise en scène commence à changer elle aussi.
Profondément marqué par cette expérience, Masashi semble ensuite pensif, le regard perdu face aux murs sur lesquels il s'apprête à exposer certains de ses clichés. Nous sommes alors le 11 mars 2011, date du tragique séisme de la Côte Pacifique du Tōhoku, suivi de son tsunami (et de l'accident à la centrale nucléaire de Fukushima) sans doute la plus grande catastrophe naturelle moderne connue par le Japon.
Masashi décide de se rendre dans l'une des provinces touchées par la catastrophe. Il rencontre sur place des bénévoles qui se mobilisent afin de récupérer, nettoyer, afficher des photos de familles retrouvées dans les décombres. L'idée étant de permettre aux survivants de retrouver leurs disparus au moins dans une image, pour avoir un souvenir qui leur est bien entendu très cher. "Les photos sont sacrées" dit l'un des personnages dans le dernier tiers du film, qui semble tout entier vouloir expliquer pourquoi et selon moi y parvient. Mais concernant le récit, je n'en dirai pas beaucoup plus, allez voir ce film !
Ce que je peux dire, c'est que le tour de force réside dans ce glissement audacieux, en trois actes, de la comédie vers le drame. Le premier tiers se veut extrêmement fun avec son ska-rock, ses angles loufoques et son rythme survolté, le feel good movie se situe principalement durant cette première phase.
Le second tiers qui illustre les difficultés de Masashi qui tente d'accomplir son propre rêve de professionnalisation marque le passage à une mise en scène plus assagie même si l'humour continue à passer notamment à travers certains personnages secondaires, comme l'éditrice notoirement alcoolique qui ne cesse jamais d'éclater de rire. Il permet aussi d'accorder du temps à Wakana, copine d'enfance de Masashi qui une fois adulte s'avère être sa première supportrice, l'aide à garder confiance en lui et lui ouvre certaines portes (espérant par ailleurs qu'il le lui rendra un jour "au centuple" en l'épousant enfin).
Le derniers tiers assume son caractère dramatique et permet selon moi d'affirmer qu'un passage préalable par le rire provoque une plus grande ouverture ou sensibilité aux événements les plus graves. Le rire sollicité en abondance durant le premier tiers permet dans ce film de qualifier la démarche de Masashi Asada lorsqu'il était dans sa propre famille et qu'il se démenait pour la faire sourire, l'amuser, lui procurer de la joie. Mais aussi de nous cueillir, nous embarquer avec ce personnage qui par la suite nous emmène vers une plus grande complexité notamment liée à la photographie.
Bien sur il y a un propos sur la famille, la vie et la mort, les souvenirs, les rêves et les craintes, tout un panel de sujets existentiels toujours propices à une exploration de la psyché humaine par le cinéma. Mais dans ce film en particulier un autre niveau de profondeur philosophique interroge ce qui fait de la photographie un apport au monde ou plus précisément "à chacun d'entre nous".
La construction en trois actes et trois régions permet d'articuler le récit de façon intelligente et de ne jamais être excessif, dans le rire de trop ou la lourdeur éttouffante. Les quelques allers-retours de Masashi pour visiter ses parents tout au long du film aident d'ailleurs à bénéficier de petits moments de respiration.
Une autre intrigue au sein de la famille de Masashi que je laisse ici de côté permet un twist revigorant, qui remet un coup de fouet juste avant de nous laisser repartir, énième argument mystérieux que je tiens à mentionner afin de vous motiver à aller découvrir La Famille Asada.
Pour moi ce fut un excellent moment, j'estime avoir vu un film magnifique et qui fait du bien. Il a de grandes qualités et tout en rendant hommage à une belle démarche de la part du véritable Masashi Asada il valorise la bienveillance, l'entraide ainsi que la photographie et son utilité ou sa magie. Peut-être fera-t-il naître des vocations chez les spectateurs les plus jeunes ou donnera-t-il envie à d'autres de sortir leurs appareils du placard.
Foncez le voir tant que vous le pouvez !
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