SUITE DU RETOUR SUR LES FILMS DU D.U PRESENTÉS AU FIFAM.
LA PREMIERE PARTIE
EN SUIVANT CE LIEN.
Visages retrouvés (25 min)
de Vanessa Chauvin-Degenne
[Pour l'instant pas de capture
disponible]
Vanessa Chauvin-Degenne est elle aussi une étudiante
du DU Documentaire ayant déjà une expérience certaine du milieu du
cinéma et de la création artistique puisqu'elle elle diplômée en
arts du spectacle, en lettres modernes mais aussi en gestion de
structures socio-culturelles. Elle a également de l'expérience en
tant que chargée de production ainsi qu'en gestion de contrats avec
le Centre National de la Cinématographie et elle a déjà réalisé
plusieurs films de courte durée. Un CV impressionnant pour une
étudiante du DU ! Son film "Visages retrouvés"
s'intéresse à un sujet sensible et complexe, peut-être trop
complexe pour pouvoir trouver la forme la plus lisible pour en parler
: il s'agit des "gueules cassées" et des mutilations du
visage qui sont une mutilation ou une perturbation profonde de
l'identité entière.
Si ce terme vous est inconnu sachez que les "gueules
cassées" c'est ainsi qu'on appelait les victimes de guerres touchées par de graves et impressionnantes mutilations au visage. Avec le
temps, on a aussi utilisé cette expression pour désigner à peu
près n'importe qui ayant un visage jugé comme peu ou pas
harmonieux. Pour le dire tel quel, on assimile les gueules cassées à
des gens "moches" un peu comme si c'était leur état
de naissance ou bien comme s'ils l'avaient voulu et comme s'ils
étaient des pestiférés. J'ai envie d'être honnête tout en
restant objectif : nous ne sommes pas "habitués" à voir
des corps ou des visages déformés, parfois très brutalement, et je
serais un menteur si j'inventais que je ne ressens rien de
particulier quand il m'arrive, extrêmement rarement, de croiser une
personne victime d'une mutilation. Il y a déjà la rencontre avec
une personne différente, nous qui sommes faits à l'idée d'un corps
"complet" qui nous transporte au quotidien. Mais de plus
nous sommes tous conditionnées par une culture commerciale de la
beauté et des apparences, du maquillage et de la "swag"
attitude et nous admirons des contrefaçons présentées comme un
bien-être : les visages Maybeline et les peaux Nivea, les jambes
bien épilées et les pectoraux moulés dans des tshirt trop courts.
On s'attarde sur le Camel Toe, on invente les sourcils ondulés, on
se met des bijoux sur les dents, en gros, on fait à peu près tout
pour déguiser l'humain en quelque chose d'autre, en mannequin, nous
admirons et apprécions cela. Par ricochet, nous nous éloignons de
celles et ceux qui volontairement ou pas ne peuvent eux-mêmes
adopterces nouveaux codes de l'esthétique du corps : les
mutilés, les handicapés et tous ceux aussi qui militent pour un
retour au naturel sans se plier aux diktats de ce domaine, pour qu'on
puisse de nouveau se voir tels que nous sommes. C'est un véritable
sujet de société qu'on questionne parfois dans les médias grand
public généralistes mais qu'on ne traite donc pas avec un véritable
sérieux et jamais en allant juqu'à parler des mutilations. On va
donner des conseils pour masquer son acné ou se blanchir les dents
et basta. En gros on évoque tout ce qu'on peut "changer".
Partir de la situation des "gueules cassées"
est donc déjà un choc très violent qu'il faut parvenir à dépasser
car dès le début du film, Vanessa nous donne à voir des
photographies d'archives de victimes de la grande guerre et cela
percute, c'est brut de décoffrage. D'un côté, réagir "mal"
aux images de victimes, c'est bien naturel puisqu'un conditionnement
nous pousse à aduler une perfection toute illusoire, d'un autre,
dépasser le choc et ne pas "plaindre" les gueules cassées
et autres victimes d'une mauvaise image, ce serait refuser de se
mettre à leur place, refuser de reconnaître qu'une bouche éclatée
par une explosion, un oeil qui n'est plus à sa place ou un corps
dépossédé de ses deux jambes sont des choses horribles pour ceux
dont l'âme doit faire avec un véhicule que la vie n'a pas respecté.
C'est un sujet d'humanité hyper bouillant qui questionne notre
perception et notre condition, notre propre fragilité aussi. Il
rappelle également qu'avant d'être des soldats qu'on a envoyé sur
un front déshumanisant, ils étaient comme vous et moi de jeunes
hommes qui voulaient vivre leur vie, ils avaient leur visage, leur
corps, leur existence propre et liée à leur naissance, leurs
parents, toutes les influences génétiques qui construisent notre
identité "visuelle". Ils pouvaient donc comme tout le
monde tenter de s'assumer sans perturbation. Mais la guerre passée
par là avec son grand talent, tout bousiller, a d'abord et surtout
bousillé l'être humain. Dans sa tête et sur son corps. Elle a
méprisé la vie et l'a envoyée au cimetière, qu'on voit dès le
premier plan, ce qui passerait pour plus enviable que de devoir
continuer à vivre avec une marque de l'horreur moderne indélébile
et en plein milieu du visage.
La première partie du film m'a donc particulièrement
intéressé car dans ma famille on a beaucoup parlé de ce phénomène
là des gueules cassées et des vétérans handicapés qui deviennent
des pestiférés du fait de la guerre à qui nous vouons une haine
sans borne. Dans le film nous pouvons donc voir ces photographies et
images des gueules cassées et sentir venir un sujet profondément
délicat et tout à fait humain. Car même si la première guerre
mondiale est loin, il existe toujours des gens qu'on appelle gueules
cassées, qui sont mutilés soit par les guerres modernes, soit par
des accidents violents, ou bien encore par des maladies qui
détruisent le corps. On voit ces temps-ci une campagne de
mobilisation et de don afin de combattre le Noma, une maladie
dévoreuse de chair et même d'os, présentée par Samuel Le Bihan
dans un spot télévisé. Dans la version
disponible
sur Youtube, le visage d'un enfant victime de cette maladie est
visible intégralement et Samuel Le Bihan explique "Ce visage
n'est pas né des mains d'un maquilleur." Dans
la
version pour la télévision, son visage est flouté "pour
ne pas heurter la sensibilité des plus jeunes". Cela illustre
bien la question épineuse qui entoure l'image du corps et du visage.
Et finalement quelle sensibilité va-t-on construire si l'on cache
aux enfants des visages "monstrueux" qui appartiennent bien
à des humains, leur laissant croire que les visages "monstrueux"
n'appartiennent qu'aux "monstres" ? C'est un peu construire
une sensibilité qui finalement en déduit qu'un humain avec un
visage monstrueux est moins un humain que tous les autres qui rêvent
d'être Adèle Exarchopoulos ou Georges Clooney.
Comment accepter ces visages ? Et comment ceux
qui vivent avec peuvent-ils s'accepter eux-mêmes, alors qu'il est si
difficile pour nous de les regarder vraiment ? Peuvent-ils, osent-ils
continuer à fréquenter le monde ou sont-ils condamnés à vivre
reclus ? Lors de l'échange qui a suivi la projection et durant
lequel il était impossible de ne pas sentir l'intérêt
personnel très sensible de Vanessa sur ce questionnement, elle me
l'a dit elle-même : le visage c'est l'identité. Comme la voix, les
empreintes digitales, tout ce qui nous rend singuliers. C'est donc
l'identité entière qui souffre lorsqu'un événement fait souffrir
le visage et le corps.
Mais d'un coup tout bascule sur la base d'un
lien qui n'est pas injustifié mais surprenant, et nous allons tenter
de l'expliquer bientôt. Le film quitte le début du siècle dernier
pour se consacrer à aujourd'hui et même à demain puisque Vanessa
va à la rencontre de la science, avec des interviews tournées
elle-même mais aussi des images pré-existantes d'entretiens avec
des spécialistes de la reconstruction faciale pour demander de quels
moyens nous disposons aujourd'hui pour minimiser l'impact d'une
mutilation voir la faire disparaître entièrement. Beaucoup de
méthodes sont alors passées en revue, de la pure chirurgie à ce
qui occupe la communauté scientifique aujourd'hui : la future
régénération cellulaire. En gros, les médecins espèrent pouvoir
cesser de "reconstruire" ou de greffer des organes ou des
membres d'un corps vers l'autre mais trouver comment maîtriser le
pouvoir de régénération des cellules pour totalement recréer ces
corps et ces organes à partir de leurs propres cellules. Question
passionnante aussi puisqu'elle préfigure du monde dans lequel nous
vivrons demain et fait prendre conscience de progrès incroyables de
la science. L'un des spécialiste se dit extrêmement optimiste et
souligne que des milliers de chercheurs sont déjà penchés sur
cette question. Il n'y a alors plus d'images frontales des
mutilations, plus de récit sur la vie avec ce handicap profond et
plus de questionnements sur la condition "fragile" de
l'être humain puisque finalement, on se dit qu'il n'y aura plus de
gueules cassées dans l'avenir de la médecine et que pour ceux qui
vivent avec ce mal dans l'attente des solutions effectives, c'est un
peu "dommage et tant pis". Ils sont évacués du film très
rapidement.
Mais revenons sur ce saut dans le temps et la
réorientation du sujet qui passe d'une situation humaine très
particulière à quelque chose de plus scientifique et informel car
j'en ai parlé à Vanessa directement lors de l'échange, il me
semble que quelque chose derrière son film témoigne d'un intérêt
plus profond et d'une frustration palpable de n'avoir pas pu mettre
en images le véritable sujet qui l'animait, à savoir cette vie
rendue difficile voir impossible lorsqu'on doit faire avec un visage
et une identité mutilés. Et la réponse de Vanessa fut bien
logique, tout est lié au sujet lui-même, il explique pourquoi le
film ne pouvait pas être autrement ou en tous cas pourquoi jusqu'ici
il n'a pas pu prendre de forme "détournée" ou artistique
qui puisse montrer la réalité de la mutilation ou nous offrir le
récit d'une de ses victimes. Puisqu'ils vivent très difficilement
dans une société au sein de laquelle l'image est primordiale et le
jugement permanent, ils et elles refusent d'être vus dans le réel
aussi bien que sur un écran. Ils n'acceptent pas de se laisser
filmer ou de raconter leur histoire, dans tous les cas, pour parvenir
à un tel miracle de partage il faudrait bien plus qu'un an et un
projet de film d'étudiant pour pouvoir pénétrer dans leur univers
et le rendre perceptible à des spectateurs insouciants.
C'est pour cela que j'ai dit à Vanessa que j'avais
l'impression qu'elle n'avait pas parlé de ce qui la touchait
véritablement, à savoir le sort auquel sont condamnées les
personnes qui sont dans une situation de handicap aussi ostensible et
violent. Elle nous a expliqué qu'il lui arrivait souvent de croiser
une personne au visage mutilé mais qu'il serait bien difficile de
lui adresser la parole "comme çà" en mode "Bonjour
je fais un documentaire sur les gens mutilés du visage vous me
racontez ?". C'est logique, puisque toute la problématique
d'une vie dans ces conditions c'est justement l'image de soi au
milieu des autres. Si vous et moi nous hésitons à parler de nous
face à une caméra de peur qu'on nous juge trop sévèrement ou
qu'on se moque de nous, imaginez un peu pour des gens dont le
jugement et la moquerie sont sans doute un quotidien qu'ils évitent
en préférant s'isoler. Peut-être qu'un jour une personne à la
gueule cassée accepterait de se confier pleinement et d'être vue
frontalement sur un écran, mais pour cela c'est certain, il faudrait
un projet de longue haleine ou rudement bien ficelé avec des gages
de sérieux et sans doute des conditions précises de diffusion ou de
partage du résultat, bref, c'est juste impossible dans le contexte
du DU. Dans l'échange j'ai dit à Vanessa que peut-être il existe
une façon dont j'ignore la nature de mettre cette histoire et cet
intérêt là, plus profond, à l'image mais d'une façon détournée.
Peut-être via un autre support ajouté au film, le dessin ? La photo
ou l'animation ? Pour compléter un témoignage sonore et seulement
sonore ? Je ne sais pas du tout. Et tout ça me pousse à dire que
j'imagine à quel point ce projet a du être compliqué et difficile
car articuler le film tel qu'il est aujourd'hui tout en ayant un
intérêt bien plus vif et personnel à délivrer à l'intérieur de
soi, c'est sans doute une déception pour elle, encore que là je
préjuge avec ma seule déduction, je n'en sais rien. Mais pour moi
ce film est un épisode "pilote" qui devrait déboucher sur
un véritable "épisode 1". Après une approche plutôt à
distance et qui dévie sur la question scientifique, l'aspect humain
profond reste à explorer avec toutes les difficultés particulières
que cela comporte. Un énorme défi quoi, qui non seulement poserait
beaucoup de problèmes dans sa faisabilité mais serait aussi une
énorme prise de risque à l'issue éventuellement dramatique si le
propos construit n'éliminait pas toute possibilité de mépris de la
part du public qui ferait face à cet éventuel film lié au
sentiment de la documentariste et à son sujet, à ses témoins.
Voilà, gros morceau de texte pour ce film car c'est
sans nul doute celui qui m'a le plus intrigué "en tant que"
film, qui m'a poussé à me demander s'il s'agissait vraiment de près
ou de loin du film qu'imaginait Vanessa et quelque chose à mon sens
est resté en sommeil derrière l'écran. Je trouve ça dur car le
docu de création et la liberté de ton qu'il permet à ceux qui le
pratiquent (toutes proportions gardées et conditionnées par les
producteurs et autres intervenants) n'a pas pu rendre service au
sujet qu'elle a amené et qui j'en suis assez convaincu n'aurait pas
pu être traité avec l'humanité qui lui est dû en si peu de temps
de formation et en si peu de temps de film. Je salue le fait qu'elle
soit allée jusqu'au bout de cet essai qui me semble vraiment
souligner l'existence non pas d'un "acte manqué" car le
film est là et se regarde quand même sans effort, mais d'un acte
qui manque, ou le chapitre le plus humain : la parole ou le
témoignage, même rapporté, d'une ou de plusieurs personnes qui
vivent véritablement cette situation qu'on ne peut pas imaginer
puisque nous ne sommes pas à leur place. Ou bien encore la parole de
Vanessa elle-même qui j'en suis tellement convaincu pourrait
partager sa sensibilité pour aiguiser la nôtre. Quelque part, le
malaise qui peut entourer le format et le dispositif de ce film est
cohérent et compréhensible car il correspond au malaise et au
questionnement que soulève le sujet même. Encore une fois je le
redis, du respect pour toutes les démarches présentées ici.
A NOTER : Vanessa a modifié son montage récemment pour raccourcir son film.
Ce retour est donc lié à la version longue présentée au FIFAM.
Au nom du père (25 min)
de Daniel De Almeida
[Pour l'instant pas de capture disponible]
Daniel
porte un nom, comme tout le monde. Il s'appelle "De Almeida". Mais il y
a un mystère derrière ce nom, car dans sa famille, seul son père le
portait, et Daniel ignore d'où ce nom peut bien sortir car ses
grands-parents ne le portaient pas. Il semble qu'il n'y ait aucune
filiation connue avant son père permettant de comprendre ce que "De
Almeida" fait sur ses propres papiers. Pour tenter de comprendre ce qui
se cache derrière cette situation, il rencontre une spécialiste de
l'histoire et des noms de familles portugaises. Mais celle-ci ne voit
pas pourquoi ce nom apparaît là. Chou blanc. Il décide donc de mener son
enquête et part pour le Portugal sur les traces de son géniteur afin de
rencontrer ses anciens voisins et amis. Il les questionne, "avez-vous
connu mon père ?". Beaucoup lui répondent que oui, car le village où il a
vécu est un petit endroit, les gens se connaissent bien. Tous plus
souriants les uns que les autres ils voudraient bien pouvoir l'aider à
comprendre, mais ils n'en savent pas plus. Ils peuvent seulement lui
décrire un homme qui était un bon vivant et qui semble-t-il était très
espiègle. Certains d'entre eux ignorent par ailleurs que celui-ci est
décédé depuis cinq ans des suites d'une maladie et Daniel l'apprend à
l'un de ses anciens amis alors qu'ils marchent tous deux sous l'oeil de
la caméra, un moment furtif qui n'est pas au coeur du film mais qui
néanmoins rappelle le sérieux de ce dont on parle, d'une vie et d'une
identité.
Car
le documentaire de Daniel est vraiment amusant. Pour le spectateur
c'est un mystère qui s'ouvre au début du film et qui provoque tout un
périple d'enquêteur, il y a un suspense, quelque chose qui nous pousse à
vouloir une réponse. Mais lors de chaque réaction de spécialistes ou de
témoins qui pourraient peut-être l'aider, et bien non, ceux-ci lui
disent ne pas comprendre et lui souhaitent bien du courage, car c'est
incompréhensible. La façon dont il structure son film met en avant ces
échecs et l'incongruité de sa demande, tout le monde semble "paumé" face
à ce mystère qui tient sur un bout de papier. Filmé au fur et à mesure
de sa recherche et dans le vif de ses rencontres, "Au nom du père"
permet de constater que Daniel voudrait bien savoir, mais se montre très
positif et plein d'entrain, comme si ce mystère sans réponse était tout
de même le prétexte pour un voyage dans le passé qui révélera bien plus
que l'origine d'un nom. Finalement, il interroge sa propre mère qui
explique dans un français teinté d'un fort accent portugais que son mari
menait des activités elles aussi mystérieuses pour elle qui le laissait
disparaître le soir sans donner d'explications. Selon elle, il
distribuait un journal très politique et clandestin. Et cela serait lié à
leur installation en France car un jour, la mère de Daniel a vu deux
policiers venus pour le trouver sans dire pour quelle raison. Elle a
senti que ses activités secrètes pouvaient le mettre en danger et l'a
incité à quitter le Portugal.
D'un
coup le récit se pose, le rythme change totalement, le sujet se
transforme. C'est un témoignage extrêmement touchant qui arrive comme
une réponse décalée au mystère. En réalité, ce nom n'est pas si
important, ce qui s'explique c'est le départ d'un pays vers un autre et
le sentiment violent de dépaysement ressenti par sa mère en arrivant.
Deux années à manger de la soupe afin de pouvoir payer leur logement, et
la difficulté de s'insérer dans une nouvelle société aux valeurs et aux
paysages qui diffèrent trop à son goût. Elle en parle avec le sourire,
s'amuse de certaines choses, mais finit par dévoiler une émotion
vraiment profonde lorsqu'elle commence à évoquer ce que leurs propres
parents ont ressenti au moment de ce départ. Des larmes commencent à
couler et de façon vraiment très classe, Daniel change son cadre, en
évacue sa mère pour mettre un terme à ce film.
Un
film vraiment intéressant du fait de ce schéma "du rire aux larmes",
partant d'un sujet intriguant mais traité avec légèreté pour finir sur
des révélations bien plus profondes qui ont marqué l'histoire des deux
parents de Daniel. Et j'ai trouvé que de ce fait il n'y avait pas de
voyeurisme malsain, pas de situation inconfortable pour le spectateur et
une vraie attention à l'égard de ceux qu'ils filment. Les larmes posent
toujours une question particulière dans le documentaire, faut-il les
filmer ou non, et si oui, comment le faire sans être dans le
sensationnalisme ? Celui-ci reviendrait à sauter sur la tristesse d'un
témoin en faisant un gros zoom bien baveux sur des yeux humides et une
bouche recouverte de salive en n'interrompant surtout pas ce moment qui
témoigne d'une faiblesse qui rendra le spectateur supérieur. Et bien ce
dernier plan qui clôture un film sacrément bien construit démontre que
Daniel De Almeida n'a jamais voulu "exploiter" l'histoire de sa famille
mais partager avec nous une complexité, un récit sur une famille
portugaise parmi tant d'autres dont nous ignorons parfois la culture, le
mode de vie de leur pays natal et surtout le courage et la volonté
d'aller de l'avant qui leur a permis de consolider une vie en France et
d'être reconnus comme méritants malgré leur statut d'immigrés. Car on
peine peut-être à l'imaginer aujourd'hui que nous sommes médiatiquement
et politiquement accaparés par les populations du Maghreb ou d'Afrique
et les difficultés qui entourent leur intégration mais toutes les
populations immigrées de l'Histoire de France ont eu à affronter de
grandes difficultés et une grande méfiance de la part des français
d'origines et de leurs institutions.
Un
film complet du coup, qui nous invite au réel voyage pour un réel accès
à la compréhension. Un humour humaniste, une gravité qui l'est toute
autant. Il fait partie de mes claques de cette journée et beaucoup de
gens que j'ai croisé ensuite m'ont dit la même chose : "Génial le film
de Daniel!". C'est vrai, vraiment excellent. Il s'est saisi de son
histoire familiale et personnelle pour en faire une chose hyper
accessible et d'abord amusante, ensuite bouleversante, le tout sur un
fil, à deux doigts de nous montrer une chose trop intime...qu'il préfère
sortir de son cadre. On pourrait donc dire que c'est un film "vraiment
très classe".
La tête à ciel ouvert
de Carole Dessinger
Carole
est photographe et semble déjà
travailler autour du cinéma notamment au sein du Festival des 3
Continents, ce qui ne l'a pas empêchée de suivre cette formation au
documentaire de création. Son profil facebook en témoigne, Carole
semble très attirée par l'univers de la nature et en particulier de la
forêt, et c'est justement le sujet de son film.
Malheureusement
je ne retrouve que très peu d'informations sur le film par le biais
d'internet et dans le noir de la projection je n'ai eu ni le temps ni
les yeux suffisants pour noter le nom de l'homme qu'elle filme et qui
paraît mener une vie militante par ailleurs très poétique. Il déambule
entre les arbres en cherchant à redonner vie à ceux qui ne sont plus que
des écorces ou des rameaux tombés au sol par le biais de "l'empilage".
Du moins j'explique ce qu'on voit à l'image, je suppose que sa vie ne se
résume pas à cela ! Une pratique qu'on connait déjà un petit peu car
des randonneurs et des artistes aiment transformer l'espace en
empilant par exemple des roches et cailloux qui se maintiennent alors en
équilibre. Le résultat est bien souvent troublant car on se dit
naïvement qu'un coup de vent devrait tout envoyer au sol en une minute,
ce qui n'arrive pas. Cet équilibre incroyable qui nous saute aux yeux
évoque à mon sens une puissance invisible peut-être liée à la force de
la nature elle-même, son essence profonde et imperceptible. Mais là je
m'avance un peu, et c'est mon ignorance de cette pratique qui parle. En
tous cas, il semble un peu plus aisé d'appliquer ce principe aux
morceaux de bois qui par endroit comportent des formes presque
"emboîtables".
Au
son, c'est la voix de cet homme qui tente de propulser sa passion qui
est un attachement à la nature et sa beauté fragile en direction du
spectateur. Il explique de façon très affirmative que ces espaces
méritent un grand respect et plus d'humilité de la part des Hommes. A
l'image, il déambule dans les bois repérant à l'oeil les "spots"
éventuels pour son installation ainsi que les morceaux de bois qui
deviendront ses sculptures. En tous cas c'est ce que je crois avoir
compris.
Car
le film me semble prendre la forme d'un manifeste. Il est très court et
quasi expérimental selon moi. Il n'y pas de récit tout à fait linéaire
ou de questionnement à proprement parler, c'est plutôt un moment qu'on
partage avec dans le commentaire de l'homme lui-même une explication de
sa démarche. Le seul souci en vérité, c'est que je ne l'ai pas bien
comprise et que le moment fut si court que je n'ai pas eu le temps de
m'y sentir "inclus". Je m'en veux particulièrement car j'ai dû décrocher
à ce moment de la projection et ne pas être assez concentré ou attentif
pour parfaitement me connecter au film et véritablement le
comprendre... Et ça m'embête vraiment car je voudrais bien en parler
d'une façon plus complète et vraiment respectueuse de la démarche de
Carole. En m'appuyant sur certaines de ses photos j'ai le sentiment que
le thème du rapport entre la ville et la nature l'intéresse et que sa
sensibilité à elle passe bien mieux dans ses photographies que dans ce
film qui la laisse hors du projet pour ne se concentrer que sur cet
homme dont vraiment, je m'en veux, je n'ai pas retenu ce qu'il faisait
d'autre peut-être à un niveau associatif ou plus politique.
Je
m'en veux tellement de ne pas pouvoir dire mieux que ça ! Et c'est
totalement ma faute, je n'avais qu'à faire un effort supplémentaire et
ne pas décrocher durant ce moment dont le message était peut-être bien
plus fort et important que ce que j'en ai saisi au vol. On m'a dit
qu'une version précédente du film comprenait une séquence de noir à
l'image accompagné du son du vent dans les feuilles et de la forêt qui
grouille de vie mais que ce moment a sans doute été incompris ou jugé
inutile par Carole elle-même. Étrangement lorsqu'on m'a expliqué ça je
me suis dit "dommage" car l'impression que j'ai eu, à savoir celle
d'être face à un essai plutôt expérimental, aurait sans doute été encore
plus forte avec une séquence de ce type nous plaçant encore plus
efficacement nous-mêmes dans cette forêt à imaginer alors. Peut-être
aurions-nous fermé nos yeux pour être transportés de ce lieu de cinéma
en plein coeur de la ville jusqu'à ces bois qui ramènent à un réel plus
réel que celui de nos nids de béton, celui de la nature qu'on perd
l'habitude de fréquenter.
J'espère
avoir une occasion de revoir ce film afin de corriger mon manque
d'attention, car je ne peux attribuer à ce film aucune perfectibilité ou
aucun "défaut" supposé, ni l'encenser comme je le voudrais, je suis
coupable votre honneur. Et je n'aime pas manquer d'attention envers un
film, à moins que vraiment, mais vraiment vraiment, il soit horriblement
nul, sans démarche et intérêt véritable. Et là ce n'est pas le cas, je
sais au moins parfaitement qu'il y a une sensibilité qui se cache
derrière, c'est plutôt la forme que je n'ai pas réussi à saisir. Je me
dis pour me consoler et faire amende honorable que Carole est
photographe et doit probablement être armée d'un oeil et d'une
sensibilité très uniques, des visions qui lui appartiennent et qui
peuvent être effectivement expérimentales, en tous cas singulières.
Alors disons que c'est une bonne raison pour vous de voir ce film :
mieux le comprendre que moi et venir me hurler que j'ai vraiment été
bête sur ce coup. Mes excuses à Carole Dessinger, j'ai été un mauvais
spectateur, ça c'est une certitude...
Mise à jour : Lors d'une discussion avec une camarade de Carole j'ai pu apprendre
qu'il était en réalité paysagiste et passionné de photographie.
Il me fait tout de même revoir ce film au plus tôt afin de mieux vous le présenter.
La Fracture (17 min)
de Livia Desmarquest
Livia
a étudié à l'UFR des Arts et intégré le DU Documentaire afin de
maîtriser un nouvel outil d'expression qui permet de restituer une
certaine complexité humaine, et vous comprendrez vite que c'était
nécessaire pour elle. A vrai dire, le premier thème qui surgit est celui
de l'art-thérapie, pratique que Livia découvre au début du film. Lors
d'un atelier son "accompagnant" (on ne peut pas dire "enseignant"
concernant l'art-thérapie, si ?) lui donne un texte à trous qu'il faut
remplir. Exemple : "J'ai 25 ans" ce à quoi Livia ajoute en suivant la
consigne sa propre suite : "mais je suis encore une enfant". Les phrases
s'enchaînent et Livia le lit à haute voix comme pour se comprendre
elle-même, avoir un dialogue intérieur qui marque en même temps une
distance, c'est le propre de l'écriture. Mais il s'agit pour elle avant
tout d'extérioriser une douleur qui l'habite et qui touche à un contexte
familial qui lui fait du mal et qu'elle a besoin de comprendre. C'est
une séparation.
Depuis
des années son frère ne veut plus adresser la parole à leur père. Pas
directement concernée par ce conflit qui semble "gelé" entre ces deux
hommes, elle a néanmoins une place particulièrement inconfortable, elle
est la soeur de l'un et la fille de l'autre, et malgré sa propre
présence, il n'existe plus de lien entre eux. Cela provoque une peine et
un besoin de compréhension intenses en elle. L'art-thérapie qu'elle
explore d'abord par le biais des arts plastiques et du dessin doit lui
permettre d'avancer. La genèse de son film c'est l'idée de prolonger la
démarche en utilisant la caméra et l'enregistrement. Avec un courage et
une liberté proprement hallucinants, son père accepte d'être filmé par
elle et de laisser entendre par un public la nature de leurs échanges.
Mais
le film que nous avons eu la droit de voir sous nos yeux, doit avoir une utilité interne à la famille et propre à Livia
également. Elle lui pose tout un tas de question qui peuvent paraître un
peu naïves et peut-être même déplacées étant donnée qu'elle interroge
l'un des protagonistes de cette douloureuse situation. Mais c'est une
manière pour elle de se faire exister elle-même dans cette histoire et
de faire reconnaître sa présence, le fait que cela la touche et
participe à fonder un manque lié à l'idée même de "famille". Elle lui
demande donc à un moment s'il réalise qu'elle est profondément touchée
par la situation et lui demande s'il s'en rend compte. Il lui répond
qu'il s'en doute, mais que le plus dur pour lui c'est d'imaginer ce que
son fils ressent. Livia lui propose de prendre un temps de réflexion
puis d'écrire une lettre à son fils qu'il pourrait lui lire et qu'elle
immortaliserait dans un film, qu'elle aurait peut-être pu amener à son
frère pour qu'il entende et qu'il puisse voir son père dans un temps
"différé". Mais rien ne lui semble utile à dire car les tensions qui
nous traversent tous dans de telles fractures nous poussent à
interpréter les mots et les idées d'une façon qui nourrit notre colère,
il est très difficile pour nous de mettre nos égos de côté, c'est une
chose humaine qui nous concerne tous.
Pourquoi
vous ne vous parlez plus ? Il l'explique, "c'est ton frère qui ne veut
plus me parler et je l'ai accepté c'est comme ça". Livia tente de
pousser le questionnement peut-être pour trouver la phrase qui
débloquera la parole de son père, mais celui-ci avec une grande
honnêteté lui confie qu'il a tellement pleuré de cet éloignement qu'il
n'en a plus la force aujourd'hui, c'est maintenant devenu une réalité et
à son sens, elle n'évoluera jamais. Lors d'un de leur dialogues, il
retourne la situation et propose de poser une question à Livia afin
qu'elle livre son propre sentiment quant à l'avenir.
"Je
te pose une situation, puis je te pose une question et tu devras me
donner ta réponse la plus directe et rapide. Si j'étais à l'article de
la mort, à cause d'une maladie et que je devais mourir dans quinze
jours, est-ce que tu crois qu'il voudrait me voir ?".
Arrêtons-nous
un instant pour réaliser à quel point nous assistons à une chose intime
et fondamentale dans l'histoire d'une famille. Chose profondément
humaine, on est tout de même sur la question de ce qui nous lie entre
humains, et dans une famille, c'est tout à fait particulier car un
principe de "sang" impose que dans l'idéal la famille soit complète et
soudée. Et déjà se pose tout de même la question du voyeurisme malgré un
sujet qui peut être paradoxalement universel. Mais comment parler de
voyeurisme, puisque c'est sa propre famille et qu'elle accepte
parfaitement sa démarche ? Son frère Max n'est pas présent dans le film
mais ne l'a pas empêchée de le réaliser. Juste évoqués à l'image, un ami
de son frère, une tante et sa mère ont tenté eux aussi de répondre à
ses questions, le projet fut donc accepté par la plupart des personnes
concernées, c'est important de le souligner. Alors nous autres
spectateurs, serions-nous les véritables voyeurs ? Hmm. Ce n'est pas
impossible.
Néanmoins, la chose qui nous introduit dans ce récit, c'est la fonction réparatrice de l'art-thérapie.
Le
film lui-même est l'un de ses outils. On pourrait considérer alors
qu'en réalité, nous sommes ici pour constater l'utilité d'une telle
pratique accessible à tous. Hmm. Ce n'est pas impossible. Mais quel est
cet objet en réalité bon sang ?! La question ouverte par le film
s'estompe au fur et à mesure que nous comprenons que ces témoins là sont
d'une honnêteté naturelle, ils parlent ouvertement et considèrent
peut-être eux aussi, comme on peut le dire quand on ne vit pas dans
l'illusion de la famille idéale, que "toutes les familles connaissent
des difficultés". Moi-même d'ailleurs, je n'ai pu empêcher de verser
quelques larmes lors de ce visionnage sur grand écran (je l'avais déjà
vu de façon confidentielle car Livia me l'avait partagé) réalisant tout à
coup que ce film me parlait énormément. Je suis en rupture avec mes
frères et cela fait déjà une dizaine d'année pour deux d'entre eux.
Trêve de confidences me concernant, cet article ne sera d'aucune aide
pour arranger les choses ! Mais je souligne que toute personne étant
déjà sensible à la réalité complexe des vies de famille sera sans nul
doute connectée à ce récit pour mieux en prendre la puissance dans la
face.
Le
film se déroule, les questions fusent et le blocage reste entier. Livia
doit donc conclure et malgré tout le fait sur une note positive : son
film ne lui a peut-être pas permis de faire avancer les choses mais elle
est au moins parvenue à mieux les comprendre et à commencer à les
accepter. Elle confie que finalement son film n'a pas servi à lier des
gens qui ne le souhaitaient plus ou qui ne pouvaient rien faire pour
entre eux, mais qu'il lui avait permis d'écouter la parole de son père
une fois entrée en salle de montage. "J'ai découvert qu'il avait peur
des mots, peur de parler à mon frère et qu'il ne veuille pas le
comprendre". Au final le plus grand problème, c'est l'incompréhension.
Car à la source de ce refus de dialoguer de la part de son frère, il y a
une rupture, un départ survenu alors qu'il avait onze ans. C'est celui
de son père, qui à ses yeux ne s'est pas bien comporté avec leur mère et
n'a pas assumé ses responsabilités de père en décidant de partir.
Encore
une fois, c'est impressionnant d'écrire sur un film et de l'expliquer
en ne faisant rien d'autre finalement que de raconter l'histoire intime
et complexe d'une famille marquée par son explosion. Le sentiment d'être
voyeur n'est pas tout à fait effacé. Et c'est bien cela la force du
film. Car il se tient entre l'équilibre de ce qui est privé et de ce qui
est universel, l'incompréhension possible et marquante qui peut naître
entre deux membres d'une même famille, les poussant à se rejeter au loin
tout en impactant ceux qui sont là eux aussi et qui héritent d'une
nouvelle douleur, qui est également une incompréhension, en
l'occurrence, celle de Livia. C'est sans conteste la palme, ou plutôt la
licorne d'or (FIFAM oblige) de cette projection, à mon seul point de
vue bien sur, car la puissance de ce film vient d'abord du fait du courage
qui a donné lieu à sa naissance, du fait également de la tentative de
Livia déterminée à changer les choses du réel par le biais d'un film,
détermination qu'elle entend nourrir encore dans le futur par le biais
d'autres projets car le fait que le documentaire puisse changer la vie,
elle y croit ferme. Elle me l'a dit aujourd'hui même.
Ce
qui est super aussi dans un certain sens, c'est qu'on pourrait dire
sur un tel sujet et avec un esprit un poil tordu que "franchement c'est facile de faire du
larmoyant et de récolter des lauriers". Mais non, pas du tout. Parce que le sensationnalisme
dont on a parlé vis à vis du film de Daniel qui parvient à l'éviter avec
classe, il ne peut pas être identifié ici, à moins de considérer que
les "sensations" en questions ne doivent être ressenties que par la
famille de Livia elle-même et dans un but précis qui n'est pas un mépris. Interrogation tout de même sur la future vie
de ce film et ses éventuelles diffusions, car s'il s'agissait de montrer
en quoi une étudiante du DU avait su trouver une utilité indiscutable
au documentaire de création et s'il était en même temps un outil
thérapeutique lui permettant d'avancer, il n'en devient tout de même pas
complètement un film "tous publics" du fait de sa nature intimiste. Il
est fort paradoxal et complexe, et la complexité est sans doute la chose
que le documentaire tente de sublimer. C'est chose faite ici. Et on ne
saurait quoi dire, quoi critiquer et identifier comme perfectible dans
son documentaire, car la démarche d'ensemble, c'est le documentaire
lui-même qu'elle sublime avec l'idée qu'il a un pouvoir sur le réel,
celui de le rendre lisible, même s'il ne débloque pas la parole. Il est
un outil de compréhension, pour nous autres spectateurs invités à
connaître la famille de Livia mais aussi pour la famille elle-même qui
doit vivre depuis des années avec ce réel qu'on aurait cru insondable
jusqu'à la naissance de ce film.
Sur
un plan technique, histoire de tout de même revenir à du "critiquable"
et ne pas être taxé de sentimentalisme et bien aucune critique, la forme
est parfaite, le découpage lui aussi. Un début, la volonté de
comprendre par l'art-thérapie, un développement parfois douloureux mais
d'une sincérité éclatante dans l'échange père-fille, une conclusion
enfin qui oriente le constat pour décrire l'expérience comme une chose
positive qui enrichit la compréhension de Livia et sans doute lui fait
chaud au coeur. Car concernant le hors-film, la première projection de
son documentaire fut tout de même un pas de géant consenti par son frère
qui est venu assister à l'événement. La deuxième, hier au festival
d'Amiens, fut un autre pas, peut-être moins contraignant mais
symbolique, puisque son père et sa mère sont venus depuis le sud jusqu'à
Amiens pour assister à la projection. J'ai pu poser à Livia une
question n'appelant en réalité qu'une seule réponse : alors, tu es fière
de ton film ? Elle l'est et c'est très heureux. Je n'aurais pas compris
qu'elle soit déçue par l'objet final né d'un effort de construction,
d'engagement intime ayant permis dans le même temps une prise de recul
qui semble libératrice. Si l'on considère que le sujet du film était
l'art-thérapie et rien d'autre, le film a su démontrer que oui,
l'art-thérapie c'est utile. Et du même coup il a prouvé que le
documentaire est utile, qu'il peut être une forme de thérapie dans un
cadre intimiste. J'ai le sentiment que Livia tentera prochainement de
montrer que le documentaire peut-être une thérapie pour la famille
humaine dans son ensemble à travers ses prochains projets. Et que dire
si ce n'est chapeau bas, que dire à part que ce film aura été utile à
bien des égards et pour bien des individus venus le regarder et se le
prendre en plein coeur ?
Concernant
l'accueil qu'a reçu le film, il est unanime, on est un paquet de gens à
avoir pleuré. Et cela me prouve qu'il n'y pas de voyeurisme outrancier
car je l'ai dit plus haut dans une certaine mesure, le sensationnalisme
voyeuriste rapetisse les gens qui souffrent en exploitant leur douleur
pour qu'un spectateur en manque de faire-valoir puisse se sentir plus
fort ou plus grand que ceux qu'il regarde sur l'écran. C'est l'effet que
j'identifie pour ma part dans ce courant de cinéma et de journalisme
misérabiliste et déplacé. Ici au contraire, la douleur est respectée,
les individus sont grandis. Et nous, nous sommes honnêtement touchés, on
ne peut pas tomber sur le dos du film ou de Livia en lui reprochant
d'avoir montré des choses "qui ne nous regardent pas". Car nous avons
tous une famille et pour la majorité d'entre nous j'en suis convaincu,
elle n'est pas synonyme de bonheur sans accrocs. Tant de gens autour de
moi ont été blessés par une incompréhension au sein de leur famille, et
comme je l'ai dit au détour d'une confidence, c'est mon cas aussi. Ceux
qui imaginent que la famille ça fonctionne d'office et pour toujours car
ils ont la "chance" d'en peupler une qui va à merveille, j'aurais
presque envie de les inciter à voir ce film pour qu'ils puissent
réaliser que ce concept de lien du sang ou d'engagement civil ou
religieux (dans le mariage) n'empêcheront jamais comme par magie de
s'installer une de ces incompréhensions et qui peuvent faire exploser un noyau
qu'on croyait dur.
Un
film magnifique quoi. Je ne pense pas que vous aurez la possibilité de
le voir car je l'imagine mal faisant le tour des festivals ou des salles
de cinéma. Mais cela dépend de Livia et de sa famille à qui appartient
aussi le film. Si vous entendez dire un jour que "La Fracture de Livia
Desmarquest passe à tel endroit" profitez-en et sautez sur l'occasion de
le voir. Car s'il n'est pas voyeuriste il est "confidentiel" et sa
diffusion publique est une autre forme de casse-tête qui demandera sans
doute à Livia d'y réfléchir à deux fois lorsqu'elle aura l'opportunité
de faire connaître son travail.On peut donc dire que nous avons été
chanceux de le voir et que son souvenir restera sans doute gravé dans
nos têtes histoire de soigner nos coeurs lors de nos prochaines
incompréhensions à nous. Impatient de voir Livia démontrer son talent
sur des projets qui nous concernent tous de façon plus évidente car si
elle parvient à nous faire réfléchir quant à l'incompréhension qui règne
parfois dans le reste du monde et cette famille humaine dont je
parlais, ses films risquent de faire des étincelles, et de belles.
CONCLUSION
Quelle journée mes amis, quel bonheur de voir tant d'humanité qui transpire sur l'écran.
Et
quel bonheur aussi de percevoir dans ces films un message sur la
faisabilité et l'accessibilité du documentaire. Par son biais on peut
entrer là où on n'aurait jamais pensé entrer avant et le contrat moral
qui lie le filmeur au(x) filmé-e-s sert à construire sans maladresse un
récit qui propulse l'expérience singulière d'une ou de plusieurs vies
dans un cadre qui nous interroge et nous lie tous. Qu'il s'agisse du
récit d'une personne qui a d'autres origines, d'autres convictions,
d'autres expériences de vie, qu'il s'agisse d'un sujet "commun" ou d'une
exploration houleuse. C'est le propre du cinéma, y compris 'en pratique
du spectateur", qui s'assied au milieu des autres pour que tous les
yeux et toutes les têtes, tous les coeurs soient tournés vers un de ces
outils de compréhension.
C'est
aussi pour cela que ces jeunes auteurs méritent un grand respect car on
ne choisit pas de faire du documentaire sans intention humaniste, qu'on
juge l'essai réussi ou non, il s'agit d'un engagement profond et
parfois douloureux. C'est pour cela qu'on dit généralement aux cinéastes
"qu'ils accouchent" de quelque chose. Le film retranscrit leur regard
et leur digestion du réel, c'est particulièrement vrai et vivant dans le
documentaire. Et vu l'apport qu'il peut représenter pour un public
aussi divers que les sujets qu'il aborde, il serait vraiment dommage de
s'en priver.
Félicitations
aux étudiants de ce DU, tous autant qu'ils sont, ainsi qu'à ceux qui
l'ont imaginé et qui le font vivre, Caroline Zéau, Pierre Boutiller
ainsi que tous les professionnels qui interviennent en cours d'année
pour orienter les projets et les "reconfigurer" pour qu'ils puissent un
jour avoir une vie dans les salles ou sur les écrans. Tout ça mérite, je
me répète, un grand respect et j'espère inciter les curieux qui se sont
goinfré cet interminable article à renouveler leur intérêt pour ce
cinéma. Moi chaque fois que j'ai l'opportunité de voir les films qui
sortent de ce DU, je renouvelle le mien.
Comme
je connais ou que j'ai pu faire la connaissance de certain(e)s des
auteur(e)s je me permet de leur envoyer un bisou. J'espère que vous me
le pardonnerez. J'crois que vous pardonnerez cela plus aisément que la
longueur du texte que je vous ai fait subir. Mais hey, c'est pour une
très bonne cause.
RENDEZ-VOUS L'AN PROCHAIN
(si je peux...)
*Et encore toutes mes excuses à Carole Dessinger dont je n'ai pas su saisir le film au vol afin de le restituer
avec plus de subtilité et de passion...
Vraiment
! Si tu me lis et qu'il t'es possible de me faire parvenir un lien de
visionnage je reviendrai vite corriger cette bêtise.
Je vais sans doute te contacter à cette fin !