[DécouverteS] Le D.U Documentaire d'Amiens au 37è Festival International du Film (1/2)


En cette journée du Samedi 18 Novembre le 37è Festival International du Film d'Amiens vivait ses dernières heures avec notamment au Cinéma Orson Welles la projection spéciale de films d'étudiants du D.U Documentaire de l'UFR des Arts d'Amiens. 

Quiconque s'intéresse au cinéma documentaire doit absolument aller à la rencontre des nouveaux auteurs et de ceux qui signent leurs premiers essais en tant que novices, car ces projections sont leurs premières expériences face au public et justifier, expliquer, répondre aux questions sur un travail aussi personnel peut être une épreuve toute aussi violente que le processus de création donnant vie à ces oeuvres.

Les échanges avec les auteurs qui suivent les projections ont ceci de particulier qu'ils ne concernent pas des films qui ne leur appartiendraient plus et seraient désormais entre les seules mains du public. En vérité, les auteurs se livrent ou se "délivrent" eux-mêmes, leurs films étant souvent liés à leur for intérieur, à leur identité ou à leurs expériences humaines les plus marquantes, parfois traumatisantes. Peut-être est-ce l'une des spécificités du documentaire qu'on dit "de création". 

Il ne s'agit pas de films sur des sujets de société ou d'Histoire et qui n'auraient qu'une visée pédagogique à l'attention de ceux qui les regardent. Ils ont également aussi un aspect thérapeutique, comme s'il s'agissait d'analyse psychanalytique personnelle, mais que cette analyse était rendue publique. On en reparle dans quelques lignes (des centaines en fait). Ne pas être touchés par leurs films doit donc être une liberté pour nous, mais pas un risque pour eux. Il faut alors se montrer bienveillants, respecter leur démarche, poser des questions, mais se garder d'être dans le jugement personnel ou l'invective. Les publics les moins habitués à ce courant de cinéma ont parfois du mal à s'en rendre compte car l'humain s'efface bien souvent derrière les représentations plus alambiquées qu'il fait de lui et qu'on se permet donc de descendre en toute insouciance.

Il s'agit également de travail collectif et d'entraide car le petit nombre d'étudiants implique leur participation sur la plupart des projets. Cela leur permet de se soutenir mutuellement mais aussi d'avoir l'occasion de toucher à tous les aspects de la réalisation (cadre, prise de son, montage, parfois interview etc). Comme l'a dit l'une des étudiantes présentes en présentant son film, ils consolident une petite famille et c'est donc main dans la main qu'ils affrontent la rencontre avec un public parfois critique. Cette émission réalisée par Les Faquins vous permettra d'en savoir plus sur cette formation ainsi que sur les spécificités d'un tel processus de création en compagnie d'Adam Wacyk, étudiant, et de Caroline Zéau qui codirige ce DU avec Pierre Boutiller. Elle souligne une chose importante à avoir en tête avant de lire tout ceci ou bien d'aller découvrir les films d'étudiants issus de cette formation : certains étudiants ont déjà une pratique et des compétences dans la fabrication de récits ou d'images car un accès est possible en formation continue ainsi qu'en formation initiale. D'autres étudiants n'ont donc jamais touché une caméra avant de s'inscrire à cette formation. Dans un sens il faut donc être indulgents et considérer que ceux qui ont fait un film de A à Z sans avoir jamais essayé auparavant, même s'ils montrent encore des lacunes techniques ou des hésitations à l'écriture méritent un respect égal si ce n'est supérieur pour l'effort qui a été le leur.

J'espère que vous avez les yeux bien accrochés, c'est parti pour un milliard de signes.
Je rappelle que ces avis n'engagent que moi et que j'ai un grande admiration pour le courage de ces étudiants car pour l'anecdote, j'ai participé à cette formation il y a deux ans, et je n'ai pas su aller au bout... Retour sur ces films qui du premier au dernier m'ont pour ma part touché ou interrogé. 



 
5è quart (19 min)
réalisé par Antoine Leleux 



5è Quart est une plongée dans l'univers méconnu et parfois stigmatisé du football américain afin de mettre en lumière les aspects collectifs et honorables de ce sport. Antoine Leleux suit à cette fin Matthieu (capture d'écran) de ses premiers pas dans l'équipe des Poppy's d'Albert à la finale de la saison, afin de marquer l'évolution du joueur de ses premiers pas hésitants à son engagement total et émotionnel. Il m'a semblé peut-être à tort que la version présentée au FIFAM était plus longue et mieux construite que celle qu'il a déjà partagé sur les réseaux sociaux. Peut-être est-ce juste l'apport d'un second visionnage qui m'a permis de mieux le "digérer", en tous cas la montée en puissance de cet engagement est parfaitement retranscrite. A la manière des documentaires qui concernent des équipes professionnelles que nous connaissons tous telle que l'équipe de France de football maintes fois filmée dans ses vestiaires, 5è Quart accompagne les joueurs lors de déplacements, enregistre les discours d'avant match et les consignes du capitaine. Lors des premiers mois d'entrainement et de matchs, celui-ci évoque bien sur la force et la volonté indispensables pour aller vers la victoire, mais au moment de jouer le match le plus important, la finale, il motive ses troupes avec un seul mot et une seule consigne : l'amour. Amour de ce sport, amour de l'équipe et de son maillot, amour des familles présentes sur le bord du terrain, amour de cette seconde famille qui se retrouve dans les vestiaires . Parviennent-ils finalement à soulever le trophée tant convoité ? Ce serait "spoiler" que de le dire. 

Le tour de force de ce documentaire est de parvenir à retranscrire une aventure au long cours dans une durée aussi courte à l'aide d'une structure très bien pensée et d'un montage énergique. Il fait partie des films les moins personnels vis à vis de l'auteur et ne force à aucune réflexion philosophique pesante, préférant nous plonger directement dans le coeur de ce sport et en nous incitant à espérer au fur et à mesure du film que cette équipe en sortira victorieuse. Un docu vraiment très agréable et je pense que les Poppy's d'Albert peuvent être fiers d'eux et de l'image qu'Antoine a permis de donner de leur pratique en insistant moins sur les aspects techniques du football américain que sur l'engagement humain qui le rend admirable.


Une lettre à mon père (10 min)
de Ousmane Diagana


Ousmane Diagana est l'un de ces étudiants qui suivent la formation du DU Documentaire de Création tout en ayant déjà une certaine expérience du cinéma documentaire ou du journalisme puisqu'il a déjà documenté le sort tragique des populations de Mauritanie marquées par un conflit ravageur avec le Sénégal et par les exactions encore actuelles d'un gouvernement génocidaire que nos pays occidentaux ne dénoncent pas ou si peu. Né d'un père Mauritanien et d'une mère Sénégalaise, Ousmane Diagana livre dans ce court-métrage ses propres interrogations sur le parcours du premier qui après avoir immigré en France il y a plusieurs décennies a finalement choisi de regagner son pays natal, sans doute déçu par un destin moins prometteur que ce que la France semblait pouvoir offrir avec son image de pays des Droits de l'Homme et de fraternité. 

Ce père, qu'a-t-il bien pu trouver ici ? Quelle place lui a-t-on donné ? Pouvait-il s'en créer une meilleure ? Sa déception est-elle liée à cette forme d'hypocrisie qui marie l'identité culturelle très forte de notre pays, qui se présente comme humaniste, avec la réalité plus cruelle d'une place toujours plus stigmatisante pour les populations immigrées et en particulier noires, qu'on retrouve exploitées bien souvent dans des métiers de basses besognes (balayeur, agent de sécurité etc). Ousmane montre une télévision allumée sur Itélé pour illustrer le discours qu'on lui sert dans tout média et qui nourrit de faux débats : les immigrés viennent pour profiter d'un système social, dont ils ne connaissaient pourtant aucunement la nature avant de quitter leurs pays de naissance, des lieux de conflits et de mort. Vraiment ? Son propre père qui tellement déçu a choisi de repartir vivre dans un pays secoué par les troubles politiques et la violence, est-ce juste de l'associer à cette idée de gens qui viendraient abîmer notre stabilité et notre identité dans un esprit de conquête et de profit ? Pour présenter ces questionnements, il choisit d'adresser ce film directement à son père, qui n'est malheureusement plus de ce monde aujourd'hui, pour lui dire qu'il aimerait comprendre ce qui s'est passé. Et peut-être un peu pour lui dire qu'il a déjà commencé à comprendre, se heurtant à ces réalités cruelles. Mais il témoigne également des apports culturels que la France lui a permis d'acquérir. Il cite la littérature, le cinéma et la musique comme des choses parfaitement enrichissantes sur le plan humain. Finalement, c'est le décalage entre cette identité d'un pays qui apparaît comme réellement humaniste dans ses objets culturels et sa politique sociale bien plus obscure qu'il souligne. Une photo symbolise la présence-absence de son père. Pour le faire symboliquement revenir dans ce monde et surtout ce pays, il emmène cette photo avec lui notamment en prenant le bus à Aubervilliers. Elle est comme assise en face de lui qui filme à la première personne avant de panoter vers l'extérieur et cette ville qui apparaîtra ensoleillée, mais dans une impression paradoxalement grisonnante. 

J'ai fortement apprécié ce récit personnel livré avec honnêteté, ainsi que la force et l'audace de ce qu'on voit à l'image. Ousmane Diagana revient plusieurs fois sur ces images cathodiques de débats houleux et pas si honorables tout en les contrastant avec son interrogation qui pour le coup est humaniste, ainsi qu'en osant, j'ai adoré ça, montrer des images de sa propre identité et culture. Lors d'un plan symbolique qui renvoie à la réalité de sa situation, il se filme faisant sa prière. Plus tard dans le film, un autre plan d'une puissance impressionnante montre le portrait de son père de nouveau accroché au mur, puis il déplace son cadre pour le faire sortir de l'image, ce qui dans un même mouvement fait entrer le sien dans le champ, car une photo de lui-même trône désormais sur ce mur également à peut-être un mètre de celui de son père. Un lien dans le plan qui manifeste aussi une rupture, car les deux portraits ne sont pas dans le cadre en même temps, ce cadre est mouvant et évolue donc d'un portrait vers l'autre. Cohérence qui percute, récit qui touche, constat politique réaliste, histoire d'un rêve déchu et envie d'un autre destin. Un documentaire admirable qui nous rapproche de lui et de ses sentiments, nous rappelle à la préoccupation qui compte vraiment : comment vivre ensemble ? Peut-être avec la culture, mais certainement pas grâce aux politiciens, d'ici ou d'ailleurs. L'une de mes plus grandes baffes lors de cette projection.



 La fabrique du partage (23 min)
de Gwenael Ameline de Cadeville

[Pour l'instant pas de capture disponible]

Ce documentaire de Gwenael Ameline de Cadeville est une plongée dans l'univers d'un FabLab solidaire situé à Saint-Ouen. On y répare des vélos lors d'ateliers qui permettent à tous d'apprendre à le faire soi-même, on y fait la démonstration d'une imprimante 3D auprès d'enfants éblouis par cette technologie, puis surtout on y discute, on y créé de l'échange, on y partage par exemple une assiette de pâtes trop cuites en chantant gaiement, l'une des séquences du film de Gwenael.

Les FabLab sont de plus en plus nombreux en France et ils représentent un réseau de lieux de partage très utile où tout un chacun peut venir y acquérir des compétences manuelles autour du bricolage mais aussi parfois y trouver des outils très particuliers tels que ces imprimantes 3D. Il y en a notamment un à Amiens que des étudiants en arts fréquentent pour la réalisation de certains de leurs travaux. Elles sont des lieux d'accueil, d'entraide et je pense qu'on peut le dire ainsi, "d'éducation populaire participative". Malgré tout ces lieux restent méconnus pour le grand public habitué à la consommation frénétique et à jeter ce qui ne fonctionne plus au lieu de tenter la moindre réparation, car nous évoluons vers un abandon progressif des activités de bricolage et de travaux manuels (moi le premier). Le film est donc très utile à ce niveau car il met en avant la nature des activités proposées et regroupées sous forme d'ateliers que plusieurs intervenants organisent dans une démarche associative.

Il porte d'ailleurs à mon sens bien plus sur ceux qui organisent les lieux et leur motivation naturelle que sur les bénéficiaires de leur engagement et pour ma part je dois avouer avoir ressenti une légère frustration quant au fait qu'on sort très peu de l'atelier durant le film alors qu'un tour sur le site internet ou la page Facebook de celui-ci permet de comprendre que la réparation des vélos s'accompagne aussi de sorties en groupe et d'autres événements dans un cadre qui "respire" un peu plus à mon goût bien entendu, dans la ville elle-même. Il m'a semblé que l'impact positif lié à l'existence de ce lieu aurait été plus évident avec un terrain d'observation plus élargi et des séquences en ateliers accueillant plus de monde. Pour voir en quelque sorte le fruit du travail accompli dans ces murs. La séquence des enfants qui admirent l'imprimante 3D remplit tout de même ce rôle car leur plaisir est évident. Chose symbolique et sympa, c'est un petit vélo en plastique qui sort de la machine, rappelant que l'atelier solidaire se concentre beaucoup sur cet objet qui nécessite de l'entretien et un savoir-faire de bricoleurs. La ville est tout de même visible mais dans des plans très courts qui sont écrasés, à mon sens, par de longues séquences de dialogues en ateliers alors peu fréquentés qui peuvent être vécues comme pesantes car le spectateur n'est pas pleinement intégré au présent qui défile. Le fait pour l'auteure d'avoir choisi de ne pas être présente à l'image ou au son provoque peut-être un éloignement involontaire ou l'impression d'une intrusion du spectateur qui n'aurait pas prévenu de sa présence. D'un autre côté nous sommes témoins d'échanges entre ces activistes et quelques uns de leurs bénéficiaires ce qui permet d'éviter le passage par l'interview frontale entre la personne qui filme et ceux qui font vivre le sujet. C'est donc peut-être plus spontané. La balance entre la présence assumée de la caméra pour souligner celle d'une auteure et l'absence de celle-ci pour plus de naturel chez les témoins est peut-être perfectible et a pu dépendre également de possibilités de tournage limitées.

Petit point important : Les étudiants qui suivent le DU à Amiens ne sont pas forcément installés dans cette ville, et ils ne sont pas non plus forcément installés dans les villes où ils doivent se rendre pour faire leurs images. En tant qu'étudiants ils n'ont pas non plus nécessairement les moyens de multiplier des allers-retours et des déplacements. Ainsi, ils ne peuvent pas toujours accumuler des dizaines d'heures de rushes pour avoir un large éventail de situations et doivent construire avec une quantité de matière limitée. Il arrive également qu'ils soient confrontés à des personnes qui ne souhaitent pas participer à un film dans un lieu qui les accueille pourtant sur la volonté d'autres intervenants. En bref, une foule de raisons logiques que les spectateurs ne peuvent pas nécessairement deviner ou percevoir expliquent parfois les sentiments contrastés qui peuvent les traverser face à des documentaires de format court tournés dans un temps parfois court. 

Le temps alloué à la formation du DU est par ailleurs lui aussi limité à une seule année de cours qui ne sont pas quotidiens et permanents. Et si je mentionne tout cela, c'est pour revenir sur la question du respect des démarches présentées à l'écran et le redire, on peut tout à fait identifier et exprimer des sentiments contrastés quant à un film qu'on nous présente et les argumenter, mais il ne faut jamais oublier que le film en dépit de sa forme et de son fond est toujours la preuve d'un effort personnel. Il convient alors de le respecter. Le parti-pris semble donc ici être comme dans le film d'Antoine Leleux la volonté d'immersion mais du côté de ces associatifs qui militent pour que nous reprenions le contact avec les activités manuelles, un véritable vecteur de lien social. Une séquence qui me semble plus vivante que les autres et plus en lien avec un moment d'action permet d'assister à une réunion d'organisation et de proposition entre tous ces gens qui cherchent les meilleures solutions pour proposer des ateliers. Ils espèrent former leurs bénéficiaires à l'envie de transmettre également, pas uniquement leur apprendre à réparer un vélo pour qu'ensuite ils retournent chez eux. Ils souhaitent créer une sorte d'émulsion humaine plutôt que simplement jouer le rôle de professeurs. Cet aspect souligné dans le film est particulièrement intéressant. 

En conclusion je dirais que ce film est un très bon film car il permet de découvrir un lieu que des habitants de la ville où il se situe ne connaissent peut-être pas eux-mêmes et faire découvrir à tous les autres qui ne connaitraient pas le principe des FabLab ce qu'ils permettent de faire dans un esprit de partage. "La Fabrique du Partage", tout est d'ailleurs dans le titre ! Il fait partie de ces films très sympas et utiles qui n'assomment personne avec un surplus de réflexion mais il permet de nous faire sourire face au bonheur communicatif de ces citoyens engagés et solidaires en faveur d'un rapprochement par le bricolage ! 


L'heure des bêtes (15 min)
de Léo Siad

[Pour l'instant pas de capture disponible]


Léo Siad souhaitait aborder la question de la maltraitance animale et du manque cruel de respect dont les humains font preuve à leur égard. Bien entendu nous avons désormais l'habitude d'entendre cette question ressurgir dans de nombreux débats, notamment depuis que la culture Vegan est en plein essor, mais le militantisme en faveur d'une reconnaissance d'un véritable droit des animaux passe habituellement par la diffusion d'images de l'exploitation industrielle dont ils sont victimes. De nombreuses associations telles que l'ALF (Animal Liberation Front) ou L214 (du nom d'une loi française qui reconnait aux animaux le statut d'êtres sensibles) filment et diffusent les images de pratiques hideuses liées à l'industrie agro-alimentaire et nous y sommes régulièrement confrontés. 

Alors pour une originalité certaine et incroyablement efficace, Léo Siad a voulu prendre le contrepied de cette culture du dégoût, car selon lui, ce flux d'images de violence ne participe pas tellement à une prise de conscience et une envie d'agir pour changer la situation mais au contraire nous habituent insidieusement à cet état de faits. A force de voir les images d'animaux maltraités, on en viendrait presque à considérer qu'ils sont faits pour ça, en tous cas qu'on n'y peut rien car même si nous sauvions une dizaine de vaches aujourd'hui, nous serions confrontés demain aux images d'un millier d'entre elles qui subissent de mauvais traitements. Quelque chose cloche dans l'activisme pro-animal, en tous cas il est légitime de questionner l'efficience de ces méthodes et de ce choix des images "choc". Elles entendent dévoiler les coulisses d'une industrie qui manque de savoir-vivre et fait de la productivité la première des normes, bien après le respect des bêtes. 

Le film est donc introduit par une citation de Plutarque, philosophe antique qui a écrit sur cette même question il y a deux mille ans, mais ne laisse aucune place aux images de brutalité. Bien au contraire, Léo choisit de raconter son histoire et celle de sa famille qui en Kabylie vit au plus près des animaux. Partout autour d'eux les bêtes sont présentes. Les oiseaux, les chats, les chiens, les bovins, les loups, tous évoluent librement à proximité des humains qui vivent là. Peut-être mangent-ils quand même de leur viande, mais la question concerne les dérives d'une industrie et vous verrez que Plutarque fait parler les animaux pour traiter de cette question de l'excès que dénonce également Léo.

 Pour mettre son récit en images, Léo utilise des photographies de ce paysage qui défilent à l'écran tandis qu'il raconte ces conditions de vie particulières et ces moments d'inter-dépendance entre l'Homme et l'Animal. Durant quinze minutes c'est la verdure qui s'impose. Et dans les clichés qui nous montrent des membres de sa famille Kabyle, il y a quasiment toujours un ou plusieurs animaux qui se trouvent là, librement, comme ces trois ou quatre chats qui semblent poser entre potes pour devenir le sujet principal de la photo.A l'issue de sa présentation, une voix féminine très agréable elle aussi vient compléter la première citation de Plutarque en lisant une partie de ses textes qui portent sur le sujet du mépris humain à l'égard des bêtes. De mémoire je crois qu'il s'agit du traité "Que les animaux ont l'usage de la raison" dans le Tome IV (merci google pour m'en avoir assuré) : "Sur l'usage des viandes".

Extrait : "Croyons-nous d'ailleurs que les cris qu'ils font entendre ne soient que des sons inarticulés, et non pas des prières et de justes réclamations de leur part ? Ne semblent-ils pas nous dire : Si c'est la nécessité qui vous force à nous traiter ainsi, nous ne nous plaindrons pas, nous ne réclamons que contre une violence injuste. Avez-vous besoin de nourriture ? égorgez-nous. Ne cherchez-vous que des mets plus délicats ? Laissez-nous vivre, et ne nous traitez pas avec tant de cruauté. C'est un spectacle dégoûtant que de voir servir sur les tables des riches ces corps morts que l'art des cuisiniers déguise sous tant de formes différentes ; mais c'en est un plus horrible encore que de les voir desservir. Les restes sont toujours plus considérables que ce qu'on a mangé."

Ce film est également de ceux qui m'ont le plus marqué et plu, du fait d'abord de cette grande originalité qui correspond parfaitement à mon propre avis sur la culture des vidéos violentes incapables à mon sens de produire le moindre éveil véritable mais plutôt de la résignation. Séduit du coup, forcément. Mais c'est aussi la forme pure et simple du film qui m'a transporté. La voix de Léo est très douce et lente ce qui renforce le caractère contemplatif de son film. D'une autre part, le texte qu'il a écrit permet de comprendre son attachement aux bêtes tout en expliquant ses origines et le rapport que sa famille à l'étranger entretient avec les animaux. Nous avons donc dans le film le message militant mais aussi ce qui explique son origine, le "pourquoi" de ce film qui est avant tout Léo Siad lui-même. Il était présent lors de la projection et j'ai pu le lui dire : "Pendant quinze minutes j'étais posé dans l'herbe." et ça fait un bien fou. On ressent bel et bien cet amour des animaux qui nous manque parfois à nous les êtres dits "supérieurs" et "conscients". On se laisse vraiment transporter dans cet ailleurs qu'on aimerait pouvoir vivre ici. Ce n'est pas le sujet du film, mais il permet aussi de voir un petit bout de Maghreb sans qu'il ne soit question du Maghreb lui-même, et c'est rare de pouvoir regarder un film sur une question humaine qui ne soit pas liée à un contexte politique ou social particulier mais plus à la condition et aux prétentions humaines dans leur ensemble. 

En clair, je suis content que l'identité du réalisateur soit vraiment digne d'intérêt, mais son identité n'est pas Kabyle, l'identité questionnée, encore une fois, c'est sa part d'humanité et ce qu'il l'estime devoir être. Celle "du Léo Kabyle" fait en réalité office de "background" à sa propre réflexion et sensibilité, elle n'est pas le sujet premier du moins à mon sens. Quelqu'un d'autre ailleurs en Finlande, en Espagne, au Mexique ou même dans une campagne française aurait tout à fait pu réaliser le même film. Encore aurait-il fallu en avoir l'idée, et c'est Léo qui l'a eue en premier, celle de ne pas montrer des images qui suscitent le dégoût mais d'articuler un récit qui insiste surtout sur l'amour et l'inter-dépendance entre nos genres (humain et animal). "L'heure des bêtes" est donc lui aussi l'un des films m'ayant le plus marqué et il mérite vraiment d'être vu par du monde car il pousse vers la réflexion sans lourdeur puisqu'on nous récompense avec un moment de détente et de respiration qui était bienvenu dans le contexte de cette projection, qui l'est encore plus dans le vaste monde qui est le nôtre. Chapeau !

SUITE DE CE RETOUR SUR LES FILMS DU D.U EN SUIVANT CE LIEN !

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